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la belle Génoise, Thomasine Spinola, lorsqu’elle apprend la maladie de Louis XII, et lady Caroline Lamb, au retour des funérailles de lord Byron. Ces deux femmes avaient vécu de longues années, gardant au fond du cœur, l’une le désespoir résigné d’un amour impossible, l’autre l’amer souvenir d’un amour dédaigné, mais ni l’une ni l’autre ne purent survivre à la douleur de voir disparaître l’être aimé. Il y a des cas où la résistance ne dure pas aussi longtemps et où les ravages de la passion sont tels que l’organisme se disloque avec une promptitude redoutable. En effet, il n’est pas rare qu’un médecin soit appelé auprès d’un malade que la tristesse et la langueur consument. La maladie n’a pas de cause organique appréciable; les remèdes restent sans effet, et cependant le malade ne se relève pas et le plus souvent se renferme dans le mystère de sa souffrance. L’homme de l’art doit toujours rechercher avec soin s’il n’y a point dans ces cas quelque passion de l’âme qui entretient le désordre des fonctions et rend les remèdes inefficaces. La plupart du temps, il y en a une. C’est ainsi qu’Erasistrate reconnut l’amour d’Antiochus pour Stratonice, sa belle-mère. Boccace raconte aussi qu’un médecin découvrit par hasard la véritable cause, restée obscure, de la maladie d’un jeune homme en constatant l’accélération du pouls produite par l’entrée de la jeune cousine du patient. Il arrive fréquemment que le mélancolique devient incapable de supporter la douleur et d’attendre l’heure de la mort. Telle est l’origine du suicide. L’histoire médicale et la littérature sont pleines de récits de suicides, fictifs ou réels, déterminés par de malheureuses passions. Tout en admirant ce qu’il y a de touchant et de dramatique dans ces récits, il faut reconnaître que le suicide en soi est toujours un fait d’ordre morbide. Il a pour cause une aberration complète de l’instinct de conservation, et, comme ce dernier a son siège dans une certaine portion du cerveau, on est fondé à localiser la cause du suicide dans une désorganisation cérébrale, non pas immédiate, mais plus ou moins rapidement préparée par des altérations d’un caractère plus général.

Des altérations analogues se produisent à la longue sous l’influence du ressentiment, de la haine et de la colère. Le ressentiment est une passion sourde qui prépare silencieusement ses projets. La haine est taciturne ou ne s’exhale que par imprécations. La colère apparaît par crises. Tandis que le ressentiment est pénible, que la haine est douloureuse, que la colère est accablante, la vengeance est une sorte de jouissance. On l’a comparée au sentiment de la soi pour exprimer à la fois combien c’est une passion impérieuse et combien il est doux de la satisfaire. Hélas oui ! quand la colère et l’ardeur de la vengeance gonflent les veines, enflamment le visage,