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Page:Revue des Deux Mondes - 1873 - tome 108.djvu/869

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pour des actes de pillage commis au préjudice des sujets de la reine Victoria, et les hommes d’état noirs se lamentent devant la perspective d’avoir à payer cette « somme énorme, » pour laquelle ils proposent de céder le territoire du cap des Palmes, habité également par des pirates de la pire espèce. En fait, les traitans sont les seuls maîtres de Libéria, parce que seuls ils possèdent, et que tout le négoce est entre leurs mains. À eux l’huile de palme, le riz, le poisson salé, le tabac, et les électeurs. Ces excellents patriotes ne lâchent les vivres que lorsque les citoyens noirs votent comme ils le désirent. « Si tu ne votes pas comme je veux, tu n’auras pas de quoi manger. Si tu refuses, va trouver le gouvernement et qu’il te nourrisse ! » Mais hélas ! les caisses de l’état sont vides, et le papier-monnaie est sans valeur ; le Libérien,’ comme le Romain des césars, vote donc pour qui le nourrit.

On le voit, dans ces contrées africaines la civilisation n’arrive pas à prendre racine. Ce que la force y établit s’écroule aussitôt que la force disparaît. Il ne reste partout que des ruines, et en maintes solitudes autrefois peuplées les tombes des négrophiles. Pour gagner le noir à la civilisation, il faut l’arracher au sol natal, et, si on l’y ramène, il faut l’isoler du contact de la barbarie indigène, sous peine de le voir retourner dans l’état sauvage. On peut citer l’exemple d’un prince de Grand-Bassam élevé il y a un certain nombre d’années au collège Henri IV, parlant latin, et qui doute aujourd’hui de l’existence de Paris !

La propagande catholique a moins de succès chez les noirs que les missions protestantes des Anglais, parce que ces dernières organisent des caisses de secours mutuels qui leur fournissent les moyens de racheter des esclaves capturés sur les négriers ou les prisonniers qui vont être sacrifiés à la suite d’une guerre de tribu à tribu. Les missionnaires protestans les placent tout de suite dans une société déjà façonnée à leurs idées, à Sierra-Leone, à Cape-Coast, Bathurst, etc., et, leur donnant une famille, une maison, une industrie, ils attachent les nègres par mille liens à leur nouvelle patrie. À la fois prêtres, pères de famille et négocians, ces pasteurs ont des moyens d’action plus puissans et plus efficaces ; d’ailleurs la plupart de ces missionnaires sont nègres et mulâtres. À Porto-Praya de San-Yago, nous en avons vu beaucoup qui se rendaient à Freetown ; presque tous étaient dignes et d’une tenue correcte ; s’il arrivait à l’un d’eux de trop se plaire dans les vignes du Seigneur, on l’envoyait se corriger dans l’intérieur pendant quelques mois.

Plus grande encore est sur la côte occidentale d’Afrique l’influence du mahométisme, qui envahit le pays en refoulant le fétichisme, et transforme les villages et les campagnes par l’agriculture. Le rejet