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Page:Revue des Deux Mondes - 1873 - tome 108.djvu/904

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l’épaisseur même ne parvenait pas à dissimuler le creux des tempes sillonnées de veines bleues.

— Clara! dit Prince d’un ton de reproche.

— Pardonnez-moi, murmura-t-elle en se laissant tomber sur une chaise, pardonnez-moi, mon ami, je ne pouvais plus attendre, je serais morte avant demain. Supportez mes folies un peu de temps encore, ce ne sera pas long!.. laissez-moi ici. Je sais que je ne la verrai peut-être pas, que je ne pourrai lui parler; mais c’est si doux de se sentir du moins près d’elle, de respirer le même air! Je suis déjà mieux, Jack, vous voyez, je suis mieux. Et vous l’avez vue? Comment est-elle? Que vous a-t-elle dit? Racontez-moi bien tout. Est-elle devenue belle comme on l’assure? A-t-elle grandi? L’auriez-vous reconnue? Viendra-t-elle, Jack? Peut-être est-elle déjà venue? — elle se leva frémissante et montra la porte, — peut-être est-elle ici! Pourquoi ne parlez-vous pas? Je veux tout savoir!

Les yeux du jeune homme, fixés sur les siens, étaient pleins d’une tendresse infinie que personne jusque-là, sauf cette femme, ne les eût crus susceptibles d’exprimer. — Clara, dit-il en affectant la gaité, tâchez d’être plus calme; la fatigue et l’excitation du voyage vous ont rendue toute tremblante. J’ai vu Carrie. Elle va bien, elle est belle, que cela vous suffise.

Cette fermeté douce l’apaisa, comme elle l’avait apaisée souvent. Sa main pâle entre les siennes, il reprit : — Carrie vous a-t-elle jamais écrit?

— Deux fois. Elle me remerciait de quelques cadeaux. Des lettres de pensionnaire, vous savez, répondit-elle avec impatience au regard qui l’interrogeait.

— A-t-elle jamais su ce que vous aviez supporté pour elle, votre pauvreté, les sacrifices que vous faisiez pour payer sa pension, et qui ont été jusqu’à mettre en gage vos bijoux, vos vêtemens?

— Non, non, comment aurait-elle su tout cela? Je n’ai pas d’ennemi assez cruel pour le lui avoir dit.

— Si Mme Tretherick pourtant avait appris ces choses et ne les lui avait pas cachées, si Carrie pensait que vous êtes pauvre et hors d’état de lui procurer une existence agréable, cela pourrait peser sur sa décision. Les jeunes filles aiment ce que donne l’argent. Elle a peut-être des amis riches, et, qui sait? un amoureux...

Mme Starbottle tressaillit à ces derniers mots. — Mais, dit-elle avec anxiété en tordant la main de Jack, quand vous m’avez trouvée malade et sans secours à Sacramento, quand vous m’avez proposé, Dieu vous en récompense, Jack, de m’emmener dans l’est, vous m’avez dit que vous connaissiez un moyen de nous assurer une existence indépendante, à Carrie et à moi?..