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LES CONFESSIONS
DE
JOHN STUART MILL

Aulobiography by John Stuart Mill. Londres, 1 vol. in-8o, 1873.

Il y a deux sortes de politiques : ceux qui font agir les hommes, ceux qui les font penser. Aux premiers appartient le pouvoir, la popularité, la puissance visible, — aux seconds l’influence durable et profonde, lente à s’établir, mais lente à disparaître, la gloire modeste qui n’éclate pas en applaudissemens bruyans, qui a son empire invisible dans les âmes. La grandeur d’un ministre, d’un Richelieu, d’un Cavour, a toujours quelque chose de brutal, elle a forcément des impuretés et des ombres; le politique agissant a besoin de la force, il use des instrumens, vils ou non, qui sont à sa portée, il est comme le potier qui se salit les mains aux plus beaux ouvrages, il fait violence au temps, aux résistances vertueuses ou criminelles, il n’a pas le choix des alliances, il va au plus pressé, appelle tout à son aide. Il ne peut vivre aux étages les plus élevés de la pensée, il en épouse une, et la mène avec lui dans la mêlée des affaires humaines, des appétits grossiers, des préjugés triomphans, des médiocrités bruyantes et tyranniques. Il est ainsi fait que rien ne lui paraît bon que ce qui est possible, et que toute chose possible a chance de lui sembler bonne. Il est comme la résultante naturelle de toutes les forces qui à un moment donné sont en jeu dans une nation. Il domine le présent, et ne prépare l’ave-