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de ses livres, semble considérer la politique non comme une science expérimentale et conséquemment progressive, mais comme une science dont tous les problèmes peuvent être résolus par de courts argumens synthétiques tirés des vérités les plus notoires et les plus vulgaires. » Il se sépare des « radicaux philosophes, » qui veulent construire la science politique de toutes pièces, comme les théoriciens de la révolution française. Il la regarde comme une science déductive, c’est-à-dire comme une science où les forces ne s’ajoutent pas simplement, mais se marient pour engendrer des forces nouvelles.

La pensée de Mill, toujours exprimée dans les termes les plus clairs, n’en est pas moins souvent subtile et obscure. Il a sans cesse insisté sur la différence entre les sciences expérimentales et les sciences déductives, prenant pour type des premières la mécanique, où les forces s’ajoutent, se retranchent, produisant le mouvement sans produire des êtres nouveaux, et la chimie, où les atomes en s’unissant composent des sortes d’espèces matérielles nouvelles. Cette distinction, au point de vue scientifique, n’a pas grande profondeur; elle a été utile à Mill en lui montrant le caractère complexe des phénomènes sociaux et politiques: il a compris de bonne heure que l’esprit humain subit la loi d’un lent développement, qu’il y a dans l’histoire une continuité cachée, effleurée seulement par les constitutions et par les lois, mais indestructible. Les questions politiques ne lui semblent plus absolues, elles ne sont que relatives. S’il y a quelque chose qui ne puisse changer, c’est que le gouvernement des hommes va toujours au plus fort, et la force dépend peut-être moins des institutions que les institutions n’en dépendent.

Cette sereine impartialité ne le pousse pas cependant dans les rangs des conservateurs; elle l’incline au contraire à chercher derrière les réformateurs politiques des réformateurs nouveaux, plus obscurs, dédaignés des politiques, mais occupés à lutter contre ces forces qui constituent en quelque sorte la fatalité historique. Il tend l’oreille aux enseignemens des saints-simoniens français, il étudie la Philosophie positive de Comte, il admire la fameuse division de l’histoire de l’humanité en période théologique, période métaphysique et période scientifique ou positive. Quand Carlyle dénonce l’âge présent comme un âge incrédule et soupire après un âge de foi, il commence à le mieux comprendre. Lui aussi pourrait se dire :

Je suis venu trop tard dans un monde trop vieux.


Cette âme de sensitive est secrètement blessée, fatiguée du bruit des partis, de la fatuité des économistes, de l’importance des libéraux. Il aspire à je ne sais quel avenir nouveau; il voudrait appartenir à une époque organique et non critique. Les saints-simoniens surtout