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grand-conseil, la chambre. des comptes, les cours des aides, le Châtelet, etc., tantôt au bout de vingt ans d’exercice, tantôt à la troisième génération de magistrats ayant occupé la même charge. Certains offices municipaux et administratifs donnaient également la noblesse transmissible.

De la sorte, par le seul fait de posséder tel office, on passait dans la classe des privilégiés. Aussi n’était-ce pas uniquement en vue d’occuper fructueusement leur activité, de s’assurer un traitement annuel, que les bourgeois recherchaient les fonctions publiques ; l’acquisition de bien des charges ne leur eût pas permis d’ailleurs d’atteindre ce but. Depuis que les offices avaient été divisés et subdivisés à l’infini, le produit en était souvent si minime, que nombre de ces offices ne rencontraient plus d’acquéreurs. Le mobile qui poussait surtout à lever une charge, c’était le désir qu’avait le bourgeois enrichi d’être quelque chose dans l’état, de jouir des privilèges attachés à cette charge. Bien des offices dont le titre n’était pas moins ridicule que la fonction inutile trouvaient pour ces motifs des amateurs. « C’était, écrit le comte Beugnot dans ses Mémoires, autant par orgueil que par intérêt qu’on essayait de toute sorte de moyens pour échapper aux charges qui frappaient le vilain : être vêtu, être imposé, être appelé à la guerre comme le plus grand nombre, paraissait un supplice dès qu’on avait quelque privilège à sa portée. » Aussi ne vit-on pas seulement les possesseurs de charges, les membres des corps de judicature, obtenir des privilèges en commun avec la noblesse ; la population entière de certaines villes, les bourgeois de certaines cités eurent les leurs ; ceux de Paris par exemple, sans être nobles, jouissaient d’une partie des avantages attachés à la noblesse. Comme les gentilshommes qui avaient vendu leurs terres, ou qui n’en possédaient pas parce qu’ils étaient des cadets de famille, ne se distinguaient plus des roturiers que par les privilèges personnels attribués à leur caste, privilèges analogues à ceux que conféraient les charges les plus prisées, les « gens de condition » tendaient à se confondre avec les gens de qualité ; ils formaient ensemble la classe des privilégiés. De plus, comme la noblesse était régie par un droit civil distinct de celui qui régissait la roture, les bourgeois possesseurs de fiefs, acquéreurs d’offices importans, se trouvant séparés par leurs privilèges du reste du tiers-état, on était amené peu à peu à étendre à la haute bourgeoisie le droit appliqué d’abord exclusivement à la noblesse. On vit ainsi s’introduire dans les classes moyennes aisées ce qui avait originairement constitué les prérogatives de l’aristocratie féodale : le droit d’aînesse, celui de masculinité, les retraits, les institutions contractuelles, les majorités tardives.