Page:Revue des Deux Mondes - 1873 - tome 108.djvu/944

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

vingt-quatre canons. L’Albion et le Genoa, détachés de l’escadre de Lisbonne, sont encore à Malte, et c’est le 31 août seulement que l’amiral de Rigny peut de Milo annoncer au ministre l’apparition successive du brick le Marsouin, des vaisseaux le Scipion, le Trident, le Breslau, la Provence, et de la frégate la Magicienne. Le cabinet français se félicite cependant de son activité. « On a perdu si peu de temps, écrit à l’amiral le comte de Chabrol, alors ministre de la marine, à vous prévenir des dispositions à prendre en vertu du traité que les instructions étaient faites et les bâtimens partis dans les huit jours qui ont suivi la signature. » Les bâtimens étaient partis en effet, mais dans quelles conditions étaient-ils arrivés ? « Je ne m’étendrai pas, écrivait l’amiral, sur l’état, soit au personnel, soit au matériel, des vaisseaux que vous m’envoyez. Je sens tout ce que dans ma position l’expression d’une plainte pourrait avoir d’importun. Toutefois, monseigneur, pour ma propre responsabilité, moins encore peut-être que dans l’intérêt de la vôtre, je ne dois pas vous dissimuler le fardeau qu’imposent à ceux qui ont à les mettre immédiatement en œuvre des armemens si précipités. Le temps viendra, j’espère, où, les institutions nouvelles et le budget de la marine ayant acquis tout leur développement, il sera permis de mettre sur la même ligne d’importance et la sûreté des vaisseaux de sa majesté et la célérité de leur équipement. Il y va de l’honneur du pavillon. » Paroles bien remarquables, si l’on considère surtout l’époque où elles furent prononcées, paroles fécondes que n’avait eu garde d’oublier l’amiral devenu ministre lorsqu’il préparait, quatre années plus tard, pour un rival illustre la brillante escadre du Tage ! « Les équipages des deux vaisseaux de Toulon, poursuivait l’amiral, m’ont paru plus forts que ceux de Brest, et je ne doute pas de leurs progrès rapides ; mais je remarque en général la pénurie dans laquelle on se trouve au sujet de bons officiers mariniers. Les petits bâtimens qui depuis la paix formaient la partie principale des armemens ont contribué à multiplier cette classe de sous-officiers, quelquefois choisis sans discernement, qui se trouvent perdus dès qu’on les jette au milieu d’un équipage de vaisseau. »

Le ministre accepte ces observations si fermes dans le fond, si mesurées dans la forme, avec une longanimité qui lui fait honneur. « Il faut faire la part des circonstances, répond-il à l’amiral. Nous avons eu pour notre début un grand et prompt développement de forces à faire. Les équipages ont été successivement formés et immédiatement embarqués. Le temps arrange lui-même les choses tous les jours. Si on avait dit, il y a trois ou quatre ans, que nos ports auraient à armer cinq vaisseaux et dix frégates en deux mois, on aurait eu peine à croire que cela fût possible. L’an prochain, on