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donne dans la passe. « Dieu soit loué ! » s’écrie avec émotion Codrington. Ces huit navires, — quatre vaisseaux de ligne et quatre frégates, — arrivaient en effet au moment où leur coopération était le plus nécessaire. Ce furent eux qui firent taire les batteries de l’île. Tous avaient plus ou moins souffert pendant le long trajet qui les avait conduits, en passant sous le-feu des forts, à portée de canon de la ligne ennemie.

Le vaisseau de l’amiral Heïden, l’Azof, se trouvait vivement pressé par deux frégates turques. Ce fut un vaisseau français, le Breslau, qui vint à son aide. Serre-file de la colonne du vent, le Breslau avait dû, pour entrer dans la baie, braver les feux croisés des deux rives et les coups d’enfilade que dirigeait sur lui le centre encore inoccupé de l’armée ottomane. Une épaisse fumée, d’où jaillissaient d’incessans éclairs, s’étendait sur toute la surface de la rade. Le commandant de La Bretonnière peut à peine distinguer les bâtimens alliés des navires que ces bâtimens combattent. Il poursuit cependant sa route ; il cherche presqu’à tâtons un poste qui lui paraisse digne de son vaisseau. Tout à coup, sous son bossoir même, on signale un brick. Ce brick est un brûlot qu’un de nos avisos, le brick-goëlette l’Alcyone, commandé par le capitaine Turpin, s’efforce d’écarter de la ligne. Par une brusque embardée, le Breslau évite le brûlot turc, mais il aborde le brick-goëlette français. Accrochée au beaupré du vaisseau, l’Alcyone est entraînée au plus fort de l’action. Quand ce frêle navire parviendra enfin à se dégager, ce ne seront plus des brûlots, ce seront des frégates qu’avec ses caronades de dix-huit il lui faudra combattre. Le Breslau cependant se trouve dans l’impossibilité absolue de s’arrêter. S’il voulait jeter l’ancre, cette ancre irait tomber sur le pont de l’Alcyone. Il continue donc de combattre sous voiles, tantôt envoyant ses volées aux frégates contre lesquelles se défend la Sirène, tantôt les dirigeant sur le groupe que foudroient l’Asia, le Genoa et l’Albion. Libre enfin, il va s’embosser entre le vaisseau l’Azof et le troisième vaisseau turc. Outre le feu de ce vaisseau, le Breslau doit supporter pendant près de deux heures celui de cinq frégates. Il réduit à lui seul trois de ses adversaires ; il contribue à faire sauter les autres. À trois heures et demie, le commandant de La Bretonnière, frappé d’un éclat de bois, est blessé aux deux jambes ; le capitaine de frégate Longueville prend le commandement du Breslau.

L’action était alors dans toute sa furie. Quatre-vingt-sept navires de guerre, rangés sur quatre lignes, pressés comme en un dock dans ce vaste bassin, échangeaient leurs bordées et confondaient leurs coups. Du sein de cette fournaise, on voyait parfois s’échapper des navires tout en flammes ; d’autres, encore retenus par leurs câbles, volaient soudain en l’air avec un fracas effroyable. Bouillon-