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signalé le double courant qui s’est établi du dehors à l’intérieur par Marseille, et du dedans à l’extérieur par les ports de la Manche et de l’Océan. Sur nos frontières de terre, des courans analogues se manifestent tantôt à l’entrée, tantôt à la sortie, avec une intensité subordonnée aux conditions de notre marché intérieur. Quand nos prix sont faibles par l’effet de l’abondance, c’est l’exportation qui prédomine. Quand nos prix s’élèvent par l’effet de la disette, c’est l’entrée qui l’emporte jusqu’à ce que les approvisionnemens se soient équilibrés sur tous les points du marché occidental. Il en doit être naturellement ainsi, puisque par le fait même des opérations commerciales la denrée disponible tend toujours vers les lieux où les prix sont le plus élevés jusqu’à rétablissement du niveau.

Ce qui fait que l’importation et l’exportation se produisent toujours simultanément en France, c’est notre position intermédiaire entre les divers marchés qui exportent habituellement des céréales et ceux qui en importent. L’Angleterre a un déficit régulier qu’on n’estime pas, année moyenne, au-dessous de 25 millions d’hectolitres. La Belgique et la Suisse, pays importateurs, touchent directement à notre territoire. Les pays exportateurs de céréales sont ou les contrées échelonnées le long de la Méditerranée et de la Mer-Noire, et dont les produits passent devant Marseille avant d’arriver aux marchés d’importation, ou les États-Unis d’Amérique dont les cargaisons peuvent arriver à Bordeaux, à Nantes et même au Havre aussi facilement qu’à Liverpool. Il en résulte que notre territoire est admirablement placé pour servir d’entrepôt aux grains qui alimentent le commerce extérieur de tous les peuples. Cette situation d’entrepôt général serait la meilleure pour assurer notre approvisionnement régulier et pour niveler nos prix en les rendant de plus en plus uniformes dans l’espace, de plus en plus stables dans le temps. Pour que le blé continue d’entrer à Marseille, il est nécessaire que les prix y restent, ce qu’ils ont toujours été, les plus élevés de France. S’il n’en était ainsi, le blé de la Hongrie ou des provinces danubiennes passerait devant le port de Marseille au lieu de s’y arrêter, et poursuivrait sa route jusqu’au marché anglais. La baisse excessive n’est donc pas à craindre à Marseille par le fait d’importations exagérées : les prix faibles repoussent l’importation. D’un autre côté, les prix du littoral de la Manche et de l’Océan s’équilibrent avec ceux de l’Angleterre, et se rapprochent ainsi constamment des cours de Marseille sans pouvoir en aucun temps les dépasser de beaucoup, car l’exportation sur nos côtes cesse aussitôt que les prix sont élevés. La hausse exagérée par le fait de l’exportation n’est donc pas non plus à redouter du côté de l’ouest. Bordeaux, Nantes, Marseille et Le Havre verraient ainsi se niveler leurs prix, et de proche en proche, si rien ne venait contrarier les opérations