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que susciter à notre pays de nouveaux dangers. Un homme qui a eu la singulière fortune de marquer d’un avertissement patriotique, d’un pressentiment passionné chaque étape de cette douloureuse carrière, M. Thiers, devant le corps législatif ému, fasciné par sa parole, mais toujours soumis à l’empire, dévoilait le 3 mai 1866 cette situation unique peut-être dans l’histoire. Il montrait la Prusse impatiente d’ambition et de domination, l’Autriche expiant sa complicité dans la guerre danoise par les périls dont elle se voyait maintenant assaillie, l’équilibre de l’Europe près de disparaître dans une convulsion de la force, et au bout ce phénomène extraordinaire, « un nouvel empire germanique, » un empire de Charles-Quint reconstitué, « qui résiderait désormais à Berlin, qui serait bien près de notre frontière, qui la presserait, la serrerait… » Ne restait-il donc plus rien à faire pour suspendre ces déchaînemens de la guerre et de la conquête ? On n’avait pas même besoin de parler bien haut, on n’avait point certes à menacer de la guerre pour empêcher la guerre, il n’y avait qu’à décourager toutes les tentatives, à ne point laisser à M. de Bismarck la moindre illusion, la moindre espérance d’un appui, d’une connivence quelconque. C’est tout le contraire qu’on faisait.

Rien n’est plus avéré aujourd’hui. Cette révolution de l’Europe, elle ne devenait possible que parce que la France de l’empire s’y prêtait avec une désastreuse complaisance, sans prendre les plus vulgaires sûretés. C’est elle qui mettait en quelque sorte la main de l’Italie dans la main de la Prusse. Cette alliance, dont le prix était pour les Italiens l’acquisition définitive de la Vénétie, on la connaissait aux Tuileries, on l’avait encouragée et approuvée, on l’avait corroborée, dirai-je, car, en ayant l’air de s’effacer dans toutes ces combinaisons, on garantissait l’Italie contre une agression de l’Autriche, contre les conséquences d’une défection de la Prusse, d’une paix séparée de la cour de Berlin avec Vienne. La France était si bien maîtresse des événemens que, même en signant le traité avec l’Italie, M. de Bismarck disait au général Govone : « Tout ceci, bien entendu, si la France le veut, car, si elle montrait la moindre mauvaise volonté, on ne pourrait plus rien. » Puisque la politique impériale n’empêchait rien et laissait tout faire, se ménageait-elle du moins quelque avantage en compensation de tout ce qu’elle permettait ? Évidemment M. de Bismarck n’aurait point hésité, quoi qu’il en ait dit depuis, à désintéresser la France. Il ne faisait de réserve que pour Mayence et les villes du Rhin. Plutôt que de céder sur ce point, il l’avouait, il préférait renoncer à tout, s’entendre encore une fois avec l’Autriche, et, comme on lui demandait si, à défaut de toute la rive du Rhin, il n’y aurait pas un autre moyen de satisfaire la