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devant l’imprévu, on se mettait hors d’état de surveiller les événemens, de les contenir ou d’en profiter.

Qu’arrivait-il en effet ? Ce qu’on avait le moins prévu était justement ce qui se réalisait. En quelques jours, la guerre était finie presque aussitôt que commencée. Sadowa avait tranché le terrible nœud, et lorsque la France, réveillée en sursaut, flattée un instant encore d’un rôle d’ostentation qu’on lui laissait en acceptant sa médiation, lorsque la France, déçue, inquiète, se souvenant enfin qu’il y avait des intérêts pour elle, se décidait à parler de compensations, à demander Mayence et le Rhin à la Prusse gonflée de victoires, il n’était plus temps[1].

Aller demander après la guerre ce qui n’eût jamais été accordé diplomatiquement avant la guerre, aller le demander, sans avoir une division sous les armes, au quartier-général prussien campé à Nikolsbourg, c’était, à vrai dire, choisir étrangement son heure et s’exposer gratuitement à l’humiliation d’un refus, dont M. de Bismarck ne prenait même pas le soin d’adoucir la dureté, qu’on était réduit à dévorer assez piteusement. C’était trop montrer surtout qu’après une question qui venait de s’agiter entre l’Autriche et la Prusse une autre question venait de naître entre la Prusse victorieuse et la France. On ne réussissait qu’à compléter en quelque sorte les succès prussiens. M. de Bismarck, sans perdre un instant, se servait précisément de ces demandes de compensations de la France comme d’une menace pour achever la défaite des alliés de l’Autriche, des états allemands du sud, en leur imposant des traités secrets qui les liaient militairement à la Prusse, qui étaient comme l’ébauche de l’unité allemande. Les réclamations françaises sont du 6 août 1866, les traités militaires sont du 17 août pour Bade, du 22 pour la Bavière et le Wurtemberg[2]. La politique impériale triomphait par ses revendications de la dernière heure comme elle avait réussi par ses connivences dans la préparation de la guerre.

Laisser tout faire quand on pouvait tout arrêter d’un mot, puis

  1. Voir le livre de M. Benedetti : Ma mission en Prusse.
  2. À ce moment critique, — selon une relation manuscrite que j’ai sous les yeux, — M. de Beust, alors ministre du roi de Saxe, était venu à Vichy, où se trouvait l’empereur. Il passa quatre jours attendant une audience ; il ne put rien obtenir des ministres qu’il eut occasion de voir, et il repartit sans avoir été reçu par le souverain. À son passage dans une des capitales de l’Allemagne du sud, M. de Beust disait au principal ministre de l’état où il se trouvait : « Nous ne devons plus compter sur la France. L’empereur est malade, tellement malade que je ne sais pas s’il se remettra ; ses ministres ne s’entendent pas ; à vrai dire, il n’y a plus de gouvernement. Il faut nous tirer d’affaire comme nous le pourrons, chacun pour notre compte. » Et c’est alors, ajoute la relation, que les états de l’Allemagne du sud ont tous successivement subi les volontés de la Prusse.