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de se dégager, de se frayer un chemin à travers les défilés du nord ? C’est fort probable. Où est-il aujourd’hui ? Il est dans tous les cas hors du théâtre de la guerre, et ce n’est pas lui qui menace les carlistes dans les provinces basques, où presque toutes les villes sont bloquées par les forces du prétendant.

Ce ne serait point là encore peut-être un mal irrémédiable, ou du moins ce ne serait qu’une de ces crises de guerre civile auxquelles l’Espagne est un peu accoutumée, s’il y avait un gouvernement assuré à Madrid. C’est là plus que jamais la question aujourd’hui. M. Castelar, depuis qu’il est au pouvoir, a certainement fait de sérieux et honorables efforts pour pacifier l’Espagne, pour réorganiser quelques forces militaires régulières, pour remettre un peu d’ordre là où il n’y avait que confusion. Il a eu même le courage, toujours assez rare, de comprendre et d’avouer que tout ce qu’on soutenait dans l’opposition n’est pas praticable dans le gouvernement, qu’il y avait des nécessités qu’il fallait savoir subir. Si, malgré les théories de philosophie humanitaire, il a maintenu dans toute son efficacité la peine de mort, c’est qu’il a vu que dans la profonde anarchie où était l’Espagne, en présence de la dissolution de l’armée, on ne pouvait arriver à rétablir la discipline militaire qu’en se servant de cette arme d’une répression inflexible. Il s’est rendu aux pressantes sollicitations des généraux, qui sans cela restaient exposés à être massacrés par leurs soldats, et finissaient par ne plus vouloir accepter de commandement.

Si dernièrement M. Castelar, exerçant les prérogatives des anciens gouvernemens, a nommé des évêques, c’est qu’il a compris que, dans un pays comme l’Espagne, on ne pouvait sans danger pratiquer le système de la séparation de l’église et de l’état. M. Castelar a pu gouverner à peu près depuis quelques mois parce qu’il avait reçu une sorte de dictature, parce que les cortès n’étaient point réunies. Or les cortès vont maintenant se retrouver à Madrid dans deux jours, et, par une coïncidence de mauvais augure, cette réunion a pour prologue aujourd’hui un conflit entre le président de l’assemblée, M. Salmeron, et le chef du pouvoir exécutif. M. Salmeron n’approuve pas la politique de M. Castelar, qu’il trouve trop conservatrice. Des négociations sont engagées pour amener une conciliation. Si elles ne réussissent pas et si le conflit est porté devant les cortès, qui l’emportera, de M. Castelar ou de M. Salmeron ? Ce dernier a bien des chances dans une chambre où dominent les opinions les plus extrêmes, où l’insurrection de Carthagène a de nombreux partisans ; mais, si M. Castelar est obligé de se retirer, l’insurrection peut se sentir encouragée, elle peut s’étendre de nouveau, et si le parti du prince Alphonse, du fils de la reine Isabelle, qui commence à s’agiter, prenait à son tour les armes, l’Espagne se trouverait plus que jamais prise dans un inextricable réseau d’anarchie. Étrange et sombre perspective pour l’année qui va commencer !

ch. de mazade.