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a absolument refusé de recevoir l’argent, à moins que Richard ne fît don par testament de tous ses biens à ses neveux. Ils ont failli plaider. Sir Richard ne l’a pas voulu ; il a toujours espéré que sa sœur reviendrait à de meilleurs sentimens, à des idées plus raisonnables. La voilà qui se meurt. Ses enfans hériteront-ils de la prétention qu’elle a si obstinément soutenue ? Il fallait donc bien qu’il me quittât pour aller dénouer cette affaire. Je l’ai supplié, moi, de céder sa succession. Que m’importe ce qu’il me laissera ? ne perdrai-je pas tout en le perdant ? Est-ce que je me suis jamais inquiétée de la richesse ? est-ce que je sais si je lui survivrai ? Il me semble que, lui mort, je mourrai ! Tout ce que je désire, c’est d’être sa compagne légitime, c’est de posséder, de connaître enfin son amour ; je dirai plus, c’est de connaître l’amour que j’ignore, puisqu’à vingt-trois ans je peux bien dire ne pas savoir ce que c’est ! Ne riez pas, docteur ! Je suis pure sans mérite aucun, je l’avoue, puisque ma vertu vient des circonstances et non de ma volonté ; mais me voilà de fait dans l’âge où les passions s’éveillent et où le cœur parle sérieusement. Vous souriez encore ! Allons, c’est décidé, vous ne voulez m’accorder aucune estime ? Du moins vous voilà forcé, je pense, de ne plus me mépriser, et je vous reste parfaitement indifférente. »

— Je vous ai dit, repris-je, que j’aurais peut-être quelques observations à vous faire : me les permettez-vous ?

— Certainement, je les demande.

— Eh bien ! si M. Brudnel est digne en tout point de la passion qu’il vous inspire, je ne suis pas aussi persuadé que vous que vous ayez fait tout votre possible pour lui en inspirer une semblable. Certainement vous êtes aimable et douce ; certainement vous méritez l’approbation pour avoir vaincu en vous des instincts qui faisaient taire la prudence et la fierté. Puisque vous avez pu faire cet effort, le plus difficile de tous, pourquoi n’avoir pas fait celui de former votre esprit pour devenir, je ne dis pas l’égale de M. Brudnel, il a une intelligence de premier ordre, mais sa véritable compagne, une amie assez éclairée pour tout comprendre et pour causer à toute heure avec lui ? Je vous ai peu observée, mais pourtant je vous ai assez vue pour être certain de votre indolence, de votre lâcheté, j’oserai dire, en face de tout travail soutenu. Vous vous dites faible d’esprit et sans mémoire, quelquefois vous allez jusqu’à vous dire inintelligente, et le pis de la chose, c’est que vous ne le dites pas avec honte ou regret, vous en faites une plaisanterie, une vanterie, une sorte de bravade. Cela est de mauvais goût, je vous en avertis. Vous semblez dire aux gens : Tenez, je suis ignorante et bornée, admirez-moi quand même, je suis si belle ! Aimez-moi, je suis si séduisante ! Eh bien ! selon moi, quand une femme se fait gloire de son infério-