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de la musique. Le carême musulman ne permet pas de prendre de nourriture dans la journée ; l’usage est donc de dormir jusqu’à minuit, heure où un roulement de tambour vous avertit que le jeûne est interrompu jusqu’au lever du soleil. Pendant tout le mois, les riches tiennent table ouverte, et chaque pauvre, après s’être rassasié, reçoit un petit présent. La nuit, les jeunes gens des deux sexes parcourent les rues, des lanternes de couleur à la main, pour se rendre aux mosquées ou même dans les cafés et autres lieux d’amusement. L’entrée des mosquées est, on le sait, interdite aux femmes ; mais elles n’en tiennent pas compte. L’auteur de ces mémoires assista hardiment à une grande fête religieuse en compagnie d’une jeune Circassienne, fille adoptive de la sœur du sultan. Les deux dames avaient endossé des costumes d’hommes qui ne les empêchèrent pas d’être suivies et sérieusement inquiétées. La fin de ce ramazan, plus semblable en somme au carnaval qu’au carême, vit le mariage de Mme Méhémet-Pacha et l’enlèvement de la Circassienne Nazib par un marchand grec du bazar. On comprend du reste que celle-ci ne se soit fait aucun scrupule de quitter sa bienfaitrice Essemah-Sultane, dont les passe-temps rappellent quelques-unes des plus sanglantes légendes de la tour de Nesle. Elle avait coutume de faire danser devant elle de jeunes Grecs peints et vêtus comme des femmes. Plusieurs fois le sultan fit arrêter et mettre à mort les complices des débauches de sa sœur, qui ne parut jamais s’en soucier.

Ces types ne sont pas rares en Orient. Le harem d’Abdul-Medjid donna l’exemple de débordemens épouvantables. Les caprices des sultanes ruinèrent le pays. Dans l’espace de deux ans, le sérail fut quatre fois remeublé entièrement : couvertes de pierreries, suivies d’esclaves presque aussi magnifiquement vêtues que leurs maîtresses, ces femmes sans pudeur se promenaient en somptueux équipages, à peine voilées ; la nuit, elles appelaient les passans par la fenêtre et les introduisaient dans le palais ; leurs faveurs étaient accompagnées de présens qui suffisaient parfois à faire la fortune de celui qui les recevait. C’était un cas de perpétuel pillage. La sultane Validé, mère du souverain, surpassait toutes les autres en prodigalité. Abdul-Medjid ne voulait croire aucune accusation portée contre ses femmes et ne savait rien leur refuser. Sa faiblesse se fit voir surtout à l’égard de Besmé-Hanum, élevée par une faveur unique du rang d’esclave au rang d’épouse. Il alla jusqu’à lui confier son fils, dont la mère était morte. Peu touchée de cet aveugle amour, Besmé descendit aux plus basses intrigues avec les derniers serviteurs du palais. Elle maltraitait l’enfant, qu’elle considérait comme un obstacle à son ambition, puisque ses fils, si elle en avait, ne pour-