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ser, l’âme débordante de joie, puis elle épousa celui qui l’avait convertie (1849).

C’était une vie sérieuse qu’elle allait commencer en qualité d’épouse d’un missionnaire mormon ; mais elle embrassait avec passion tous les sacrifices. Le premier qu’on lui demanda fut, après quatre mois, de se séparer de son mari, chargé d’une mission en Italie. Comme les saints ne reçoivent pour instruire les gentils aucun salaire, M. Stenhouse partit sans bourse ni bagage, laissant sa femme aux prises avec la pauvreté. Elle essaya de se consoler par l’orgueil de le voir choisi le premier de tous les anciens anglais pour une mission étrangère, mit un enfant au monde dans la solitude et le dénûment, le nourrit du travail de ses mains, jeûnant par nécessité, priant avec la ferveur d’une foi exaltée, évitant surtout de rien écrire à son mari qui pût le détourner de la grande œuvre qu’il poursuivait. Cependant quelques inquiétudes commencèrent à l’obséder. Dans un dîner chez des frères mormons, elle entendit parler à mots couverts de la polygamie, dont il était déjà question à Utah, mais qu’en Angleterre on considérait encore comme une calomnie inventée pour nuire à la sainte cause. Les craintes et les soupçons qui se joignirent dès lors à ses souffrances matérielles altérèrent gravement sa santé. Non-seulement elle entendait, mais elle voyait des choses étranges. Certains missionnaires enseignaient aux jeunes sœurs que c’était leur privilége de laver les pieds des anciens, de peigner leurs cheveux. Il n’y avait là dedans rien de symbolique, et aux yeux de Mme Stenhouse de pareilles leçons étaient indécentes.

Elle se persuadait toutefois que son mari saurait la rassurer, l’éclairer, lui expliquer tout, et en effet, lorsqu’après une année d’absence M. Stenhouse revint, il rétablit sans peine le calme dans sa conscience et dans son cœur. Pour ne plus la laisser seule aux prises avec les difficultés qu’elle avait si péniblement surmontées, il obtint qu’elle l’accompagnât dans sa nouvelle mission de Suisse. Parlant bien le français, elle pouvait l’aider ; néanmoins les missionnaires réussirent médiocrement à Genève. Ils inspiraient de la méfiance malgré leur vie exemplaire, l’abstinence de vin et de toute boisson chaude, qu’ils pratiquaient selon la « parole de sagesse[1],  » le courage avec lequel ils supportaient d’autres privations forcées et plus cruelles que la misère impose. Leurs deux enfans faillirent succomber au froid et à la faim. À Lausanne, ils trouvèrent plus de consolations religieuses et plus d’appui matériel. Sur ces entrefaites, M. Stenhouse fut appelé en Angleterre, et il rapporta l’ordre de répandre parmi son troupeau le dogme récent. D’abord il entreprit

  1. L’une des révélations de Joseph Smith.