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entre la minorité et la folie, Charles VI descendit dans la tombe en laissant pour unique héritage à son fils un trésor vide et la royauté de Bourges.

Jeanne d’Arc apparut au milieu de la désolation universelle, et donna le signal de la délivrance. Charles VII, arraché à sa torpeur, accomplit glorieusement sur les Anglais la seconde conquête du royaume en réorganisant l’administration des finances et l’armée. Les états-généraux de 1439 lui accordèrent, à titre perpétuel, une taille de 1 500 000 livres, et par suite de ce vote la permanence fut enfin établie pour l’impôt personnel et foncier, comme elle l’avait été déjà pour quelques impôts indirects, sous Philippe le Bel par les traites foraines, sous Philippe de Valois, Jean le Bon et Charles V par la gabelle, les douanes intérieures et certaines aides sur les boissons. En montant sur le trône vingt-deux ans après l’établissement de la taille perpétuelle, Louis XI trouva les finances dans une situation prospère, et sut les y maintenir pendant toute la durée de son règne. Placé entre la nécessité d’augmenter les revenus de l’état pour défendre l’intégrité du royaume contre la féodalité apanagée et la nécessité de ménager les classes roturières, sur lesquelles il s’appuyait et qui supportaient la plus lourde part des charges publiques, il manœuvra entre cette double difficulté avec une dextérité singulière, et son administration fiscale, toute despotique qu’elle ait été, fut plus habile et moins oppressive que celle de la plupart des autres règnes.

À l’exception d’un subside pour l’artillerie, Louis XI n’exigea de ses sujets aucune autre contribution que celles qu’ils payaient avant lui, et il prévint par là le mécontentement que provoque toujours la création de nouveaux impôts. Éclairé, comme Sully et Colbert, par un bon sens supérieur aux idées économiques de son temps, il diminua un certain nombre de droits plus ou moins onéreux qui portaient sur les étrangers trafiquant dans le royaume, les corporations industrielles, les denrées alimentaires, les matières premières et les marchandises, et en favorisant ainsi par des dégrèvemens l’activité de la consommation et de la circulation il doubla les recettes. Un seul impôt, celui de la taille, fut augmenté dans une forte proportion ; de 1 800 000 livres, il s’éleva progressivement 4 700 000 livres[1] ; mais cette fois les sacrifices du pays avaient donné de

  1. Cette augmentation pouvait provoquer des troubles graves et surtout aliéner les classes bourgeoises et les paysans, car la taille était un impôt roturier : aussi ce prince usa-t-il de grandes précautions pour faire accepter une pareille aggravation de charges. Au lieu d’augmenter brusquement la taille dans tout le royaume, ce qui pouvait faire éclater une opposition générale, il l’augmenta lentement et partiellement, tantôt dans une province, tantôt dans une autre, suivant leurs ressources ou les dis-