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la fortune du royaume, les traitans, les fermiers et la plupart des agens du fisc avaient mis à dessein « la plus terrible confusion dans les affaires ; » grâce au désordre des écritures, ils avaient pu toucher en six ans, sous Mazarin et Fouquet, 380 millions de fausses ordonnances et de bons simulés. Colbert organisa la comptabilité de manière à rendre impossible le retour de pareils abus ; il fit revivre à cet effet, en les complétant et en les modifiant, les règlemens de Sully, tombés en désuétude depuis l’avénement de Louis XIII, et, sans arriver encore à l’exactitude de nos budgets modernes, il établit dans le mouvement des fonds une telle régularité que, peu de temps après la clôture de chaque exercice, il put dresser un état au vrai de la situation, ce qui ne s’était point vu depuis cinquante ans et ne devait plus se revoir après lui sous les derniers Bourbons. Les gages des offices[1] et les intérêts des emprunts absorbaient plus des trois quarts du budget des recettes ; Colbert remboursa une foule d’offices inutiles ; il vérifia les titres des emprunts, qui donnaient lieu aux spéculations les plus illicites ; il annula les créances frauduleuses, ramena les autres à leur juste valeur, et, par des remboursemens à de bonnes conditions pour les prêteurs et pour l’état, il réduisit de plusieurs millions le service de la dette. Les baux des fermes étaient passés à l’amiable et par contrats secrets, au grand profit des traitans, qui obtenaient des rabais considérables. Colbert mit les fermes en adjudication publique ; il réalisa au moyen des enchères une plus-value considérable sans augmenter les tarifs, et il fit bénéficier le trésor des sommes qui ne profitaient qu’aux agioteurs. Les offices de judicature et de finances, les magistratures vénales, créées dans les échevinages, les charges de cour, les lettres de noblesse, le favoritisme, les usurpations de titres, la corruption des agens du fisc, qui trafiquaient des exemptions, avaient augmenté parmi les roturiers riches eux-mêmes le nombre des privilégiés dans une proportion considérable, et surchargé par cela même outre mesure les paysans et les petits bourgeois. Colbert entreprit la révision des rôles ; il ne maintint en fait d’immunités fiscales que celles qui étaient légitimées par le droit public, et, en augmentant comme Sully le nombre des imposables, il diminua la part afférente à chacun d’eux.

  1. Il faut expliquer ici ce que c’étaient que les gages des offices. Quand le gouvernement avait besoin d’argent, il créait de nouvelles fonctions publiques et les mettait en vente. Il y attachait la noblesse et divers priviléges pour tenter les acheteurs, et quand ceux-ci en avaient fait l’acquisition, il leur servait sous le nom de gages l’intérêt des sommes qu’ils avaient versées comme prix d’achat. Cet intérêt variait de 2 1/2 à 5 pour 100. La création des offices n’était ainsi qu’un emprunt déguisé ; mais il faut ajouter que les gages tenaient lieu de nos traitemens modernes.