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issue, déterminèrent cette liquidation terrible et sanglante qu’on appelle la révolution française, et qui solda les dettes du règne avec la planche aux assignats, comme le régent avait soldé les dettes de Louis XIV avec les billets de la banque de Law.

Telle est, résumée par les faits généraux, l’histoire des budgets de la France. Cette histoire, comme la politique intérieure, la politique étrangère et l’administration, est livrée à tous les hasards de l’arbitraire ; on y trouve de grands efforts d’organisation brusquement interrompus par un aveugle empirisme ou la corruption la plus profonde, car dans ce gouvernement, où la volonté des hommes est au-dessus des lois, il suffit d’un caprice royal, d’un ministre incapable ou cupide, d’une maîtresse pour ruiner l’état, comme il suffit d’un ministre intègre et dévoué au bien public pour lui rendre la prospérité.

Sagement administrées par saint Louis, Philippe le Long, Charles V, Louis XI, Louis XII, Henri IV, nos finances sont dilapidées par Philippe de Valois, le roi Jean, Charles VI, Charles VIII, François Ier, Henri II, Charles IX, Henri III, Louis XIII ; quelquefois même elles sont tour à tour restaurées et dilapidées sous le même règne par un simple changement de personnes, comme sous Louis XIV par la disgrâce de Colbert, sous Louis XV par la mort de Fleury, sous Louis XVI par la retraite de Turgot. Les grands rois et les grands ministres réparent les fautes de leurs prédécesseurs, et, quand l’abîme du déficit commence à se combler, il s’ouvre de nouveau plus large et plus profond. Les dilapidations des empereurs, les concussions des publicains et la dureté du fisc ont contribué autant et plus peut-être que l’esclavage et la corruption païenne à la décadence de Rome et disposé les populations à regarder comme un bienfait la chute de l’empire. La Gaule avait demandé sa libération aux barbares, la France de 89, plus éclairée, l’a demandée aux états-généraux ; mais la fatalité des événemens, le despotisme et le coupable abus du droit de guerre devaient la rejeter encore sur la pente des abîmes. Que les hommes appelés à restaurer sa fortune s’inspirent du grand exemple du passé : malgré la différence des temps, le programme de Colbert est là qui leur trace la voie. C’est à l’assemblée nationale qu’il appartient de trouver dans son sein des hommes qui fassent revivre parmi nous la tradition du grand ministre et de son conseil des finances.

Charles Louandre.