Page:Revue des Deux Mondes - 1874 - tome 1.djvu/466

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

a mieux réussi après les huit mois qui viennent de s’écouler, et il faut bien dire aussi qu’elle a été menée avec décision, avec dextérité, non par le général Serrano lui-même, mais par le général Pavia, qui pour son coup d’essai est passé maître en fait de pronunciamientos.

Ce qui vient d’arriver à Madrid n’était point assurément imprévu. D’abord lorsqu’un pays en est venu au degré de confusion où se débat malheureusement l’Espagne depuis quelque temps, un jour ou l’autre il se trouve une épée qui se charge de trancher le nœud et qui a la prétention de tout remettre en ordre. En outre la situation de plus en plus difficile du gouvernement établi à Madrid laissait assez entrevoir la possibilité de quelque coup de théâtre. Pendant les quatre mois qu’il vient de passer au pouvoir, M. Castelar a certes fait ce qu’il a pu. Homme d’imagination ardente et d’idées aventureuses, il a remporté sur lui-même cette grande victoire de reconnaître les nécessités pratiques du gouvernement, de sentir l’efficacité de la modération et de la raison. Il a voulu faire son essai de république conservatrice en Espagne. Il était trop conservateur, à ce qu’il paraît, il nommait des évêques, il ne craignait pas d’appeler les généraux qui pouvaient l’aider à réprimer la démagogie : c’était une trahison aux yeux de ses anciens amis les républicains fédéralistes ! Avant même que les cortès fussent réunies, la guerre était commencée contre le chef du gouvernement. Un conflit était engagé entre M. Castelar et le président de l’assemblée, M. Salmeron, qui se faisait le patron des partis extrêmes. Au point où en étaient les choses, tout dépendait évidemment de la manière dont se dénouerait le conflit, du premier vote de l’assemblée. Si M. Castelar avait triomphé, rien ne serait arrivé sans doute, au moins pour le moment. Si ses adversaires l’emportaient, c’était un encouragement pour les insurgés de Carthagène, peut-être le point de départ d’une recrudescence d’anarchie, peut-être aussi le signal d’une réaction militaire soudaine par laquelle on voudrait prévenir des déchiremens nouveaux. C’était là le nœud de la question. M. Castelar ne s’y méprenait pas. Dans cette nuit même du 2 au 3, où se jouait cette singulière partie, il parlait de l’accent le plus ému, il prévenait l’assemblée des dangers auxquels on courait. « Nous touchons le fond de l’abîme, disait-il ; bercez-vous d’illusions, nous sommes plus impopulaires que les modérés, que les conservateurs ;… quel va être le sort de la république ? » Cette assemblée violente et frivole n’écoutait rien, elle répondait à M. Castelar en votant contre lui sans se douter qu’elle allait se réveiller cernée par les baïonnettes qui s’avançaient.

C’était en effet ce qui se préparait au dehors. Le gouverneur militaire de Madrid, le général Pavia, sans rien dire à M. Castelar, prévoyait, lui aussi, ce qui pouvait arriver, et il n’était nullement disposé à se soumettre au pouvoir des intransigens, d’autant plus qu’il savait bien que leur premier acte serait de le destituer. Il avait vu le général Ser-