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le plus clair au moment même où les charges qui lui incombaient augmentaient dans des proportions extraordinaires. De son côté, la ferme, dont le traité subsistait, car un tel cas de force majeure n’avait pas été prévu, la ferme n’attendait pas que les esprits fussent calmés pour ressaisir le gage auquel elle avait droit et qu’on venait de lui arracher. Augeard, dans ses Mémoires secrets, donne une date précise et un détail important. « La ferme-générale, dit-il, me choisit ce jour-là (16 juillet 1789) pour aller à l’Hôtel de Ville représenter à la commune combien il était intéressant pour le service des rentes de la ville que l’on rétablît sur-le-champ les barrières ; presque toutes avaient été brûlées, excepté les deux seules qui étaient appuyées sur les murs des jardins de Monceaux. » Sous une apparence de simplicité, cette dernière phrase accuse nettement le duc d’Orléans d’avoir fomenté le mouvement, car les seules barrières épargnées sont celles qui touchent à l’une de ses propriétés de plaisance. Le fait est-il vrai ? Il est impossible de le vérifier aujourd’hui ; mais avant de l’apprécier il faut se souvenir qu’Augeard était secrétaire des commandemens de la reine.

Les barrières furent reconstruites, barrières en bois, peu solides, qu’on eût facilement jetées bas d’un coup d’épaule et où la surveillance en ces temps troublés n’était point rigoureuse ; elle l’était trop encore cependant au gré de la population, qui sincèrement croyait que la suppression des impôts devait naturellement faire partie du régime de la liberté. L’assemblée nationale s’occupait de la question et lui donnait sagement une solution à laquelle les mécontens ne pensaient guère : le 28 janvier 1790, elle décida que les droits d’octroi, aussi bien que les autres impôts, seraient acquittés par tous les citoyens, quels qu’ils fussent. Le peuple regimba ; il y eut, sinon des émeutes, du moins des collisions graves. L’assemblée tint bon ; par la loi du 15 mars 1790, elle abolit tous les droits féodaux, mais elle excepte les droits perçus à l’entrée sur les objets de consommation au profit du trésor public ; le 11 avril 1790, elle confirme cette décision ; le 4 août, elle ordonne qu’elle soit exécutée. Les murmures s’accentuent et deviennent menaçans ; l’assemblée louvoie et cherche à gagner du temps pour calmer les esprits surexcités, et le 22 décembre elle rend un décret qui prescrit la perception des droits d’entrée jusqu’à ce que l’assemblée ait statué sur les dépenses des villes et des hôpitaux. C’était promettre implicitement l’abolition de l’octroi, et, comme on sentait que les législateurs étaient dans une vive perplexité à cet égard, on s’arrangea de façon à leur forcer la main. À la barrière de La Chapelle, les forains qui apportaient les approvisionnemens de Paris et les préposés se livrèrent une bataille en règle ; il y eut des blessés et des morts. L’assemblée essaya de