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du préjudice qu’elles pouvaient porter à la ville, et un jour on en a fait le relevé. Le 19 mai 1873, on a constaté aux barrières et aux gares de Paris que l’on avait introduit 10 hectolitres 94 de vin, 14 litres de vinaigre, 13 litres 1/2 de bière, 41 litres 1/2 d’huile, 74 kilogrammes 1/2 de viande, 24 kilogrammes 1/2 de beurre, 112 kilogrammes 1/2 d’œufs, 10 stères de cotrets, 15 hectolitres 45 de charbon de bois, et 162 kilogrammes de houille. En admettant que ce soit là une introduction normale et qu’elle se reproduise tous les jours, au bout de l’année elle coûterait à la caisse municipale la somme de 100 457 francs. Ce sont les miettes de la table, et la bonne ville de Paris fait bien de les laisser ramasser.

Les préposés du service actif n’ont pas seulement à garder tous les points par où l’on peut pénétrer dans Paris, ils ont aussi à surveiller l’enceinte des fortifications. Dès que la nuit tombe, on place des vigies à certains endroits déterminés, et l’on envoie des sentinelles ambulantes, qui parcourent la route militaire, montent sur les talus et tâchent d’empêcher toute fraude de se commettre. Pour ces expéditions nocturnes, les hommes du pavé sont toujours armés d’un sabre assez inoffensif et dont, hâtons-nous de le dire, ils n’ont jamais à faire usage : des différens postes qu’ils occupent, on les dirige de façon à être rencontrés par les rondes de la roulette voisine, afin qu’ils puissent se prêter main-forte en cas de besoin ; à chaque bureau d’octroi devant lequel ils passent, ils doivent entrer et signer sur un registre ; en regard de leur nom, le brigadier inscrit l’heure exacte. Ces noms et l’indication du moment précis sont transmis sur les feuilles de service quotidiennes expédiées par chaque poste de l’administration, qui, en les comparant les unes aux autres, reconnaît si la tournée a été faite dans un laps de temps convenable. On n’a que bien peu de contraventions à relever ; l’employé de l’octroi est en général très soumis, très régulier ; sa situation n’est pas mauvaise, et il y tient. Au premier signe de son brigadier, il boucle le ceinturon de son sabre ; s’il fait froid ou s’il pleut, il revêt une sorte de longue capote en très mauvais drap que l’on nomme une criméenne ; il jette peut-être un regard d’envie sur ses camarades assis autour du poêle, mais il part sans murmurer et commence sa ronde. Lentement, comme un homme accoutumé à cette besogne mélancolique, il va le long des remparts, marchant dans la zone d’ombre qui le dissimule, s’arrêtant parfois à un angle afin d’embrasser du regard toute l’étendue de la route, sifflotant entre ses dents et échangeant un bonsoir, rien de nouveau ? avec la sentinelle qu’il rencontre. Il est entré dans tous les postes ouverts sur son parcours, il revient à sa roulette, fait son rapport en deux mots, se couche sur son petit lit de camp et s’endort jusqu’à ce