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Le premier pas dans ce sens fut le résultat d’un heureux hasard. Le 11 juillet 1869, voyageant avec une commission de la Société des agriculteurs de France pour l’étude de la maladie nouvelle, je découvris à Sorgues (Vaucluse), sur deux ceps d’une variété de vigne appelée tinto, de nombreuses galles pareilles à celles du pemphigus américain. Quelques jours après, M. Laliman retrouvait ces mêmes galles à Bordeaux, mais cette fois sur des cépages d’Amérique, dont plusieurs portaient sur leurs racines des phylloxeras. Soupçonnant que ces deux insectes, si différens en apparence, étaient des formes du même animal modifiées par le milieu, l’une à vie souterraine (type radicicole), l’autre à vie aérienne (type gallicole), M. Liechtenstein et moi eûmes l’idée que le pemphigus vitifoliœ de Fitch n’était rien autre que notre phylloxera vastatrix. Cette hypothèse devint certitude lorsque d’une part nous eûmes établi par expérience la transformation du phylloxera des galles en phylloxera des racines, et surtout lorsque M. Riley, venant exprès d’Amérique en Europe, put affirmer l’identité des insectes des deux pays. Averti en effet par la découverte faite chez nous du phylloxera des racines, ce sagace entomologiste retrouva sans peine en Amérique le même insecte dans les mêmes conditions, c’est-à-dire vivant sur les radicelles. Il s’expliqua dès lors pourquoi la vigne d’Europe a toujours succombé en Amérique, où le phylloxera règne partout, et pourquoi des cépages américains souffrent plus ou moins des attaques de cet invisible suceur, alors même qu’aucune trace de galle ne se montre sur les feuilles. Établie par la comparaison des insectes sous tous leurs états, en Europe par M. Riley, en Amérique par moi, cette identité du pemphigus américain et du phylloxera d’Europe ne saurait plus faire doute ; mais il s’agit de savoir quelle est la vraie patrie de l’insecte, dans quel sens l’importation s’en est faite, ou si par impossible l’espèce serait indigène à la fois dans les régions des deux côtés de l’Atlantique.

A priori l’hypothèse d’un indigénat européen répugne presque au simple bon sens. Se figure-t-on un pareil insecte traversant sans se révéler des siècles de culture de la vigne, et tout d’un coup manifestant sa puissance par de véritables désastres ? Supposons même qu’il eût attendu pour sévir des conditions climatériques favorables, par quelle cause apparaîtrait-il simultanément sur les points les plus distans, — midi de la France, Bordelais, Autriche, Erfurt, Portugal, — irradiant toujours d’un centre et se répandant, par invasion autour de ces points de départ ? N’est-ce pas là le caractère des maladies importées ? — Mais, a dit M. Koressios, d’Athènes, le phylloxera n’est pas nouveau en Europe : il n’est autre que le phtheir ou pou de la vigne décrit par Strabon, et que les Grecs modernes