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raisonnemens en dehors des faits. Comme il arrive fatalement pour des sujets auxquels le grand public s’intéresse, les plus ignorans ont été les plus hardis, et, le mirage d’un prix de 20 000 francs stimulant encore les inventeurs, il s’est produit une avalanche d’élucubrations grotesques dont le rire aurait pu faire justice, si ce n’était avant tout un symptôme humiliant de notre éducation nationale. Hâtons-nous de le dire pourtant, ces excentricités presque morbides n’ont pas empêché les esprits droits de faire leur œuvre et d’aborder résolument le problème difficile de défendre contre une ruine imminente nos vignobles envahis ou menacés. Ces efforts n’ont pas été stériles. Quelques-uns ont abouti à des solutions pratiques, d’autres circonscrivent de plus en plus près le problème ; tous tendent à se contrôler, à se compléter, substituant au triste sentiment de notre impuissance l’espoir d’un succès final qui sauverait la plus noble part de notre richesse agricole.


III.

Il serait fastidieux d’exposer en détail les modes de traitement proposés ou essayés pour guérir les vignes. C’est à grands traits qu’il faut tracer le tableau de ces tentatives : encore insisterai-je de préférence sur celle que le succès vient de couronner et qui rentre dans la catégorie générale des moyens insecticides, je veux dire la submersion automnale des vignobles.

L’idée d’employer l’eau pure pour guérir les vignes phylloxérées s’est présentée naturellement à l’esprit de plusieurs agriculteurs, surtout dans les régions où l’existence de canaux permet l’emploi de ce moyen ; seulement le point de vue différent où se sont placés les auteurs de ces procédés a singulièrement influé sur les résultats de leurs essais. Les uns, M. Alphandéry par exemple, partaient de l’idée que le phylloxera n’était pas la cause de la mort des vignes ; ils ne voyaient dans la maladie qu’un effet de sécheresse ; ils pratiquaient donc l’irrigation, pendant l’été principalement, et malgré tout leurs vignes ont péri. M. Faucon au contraire, dès le premier jour que l’existence du phylloxera lui est démontrée, adopte l’idée que cet insecte est cause du mal ; il en poursuit la destruction par l’asphyxie au moyen de l’eau répandue en telle abondance qu’elle pénètre tout le sol et se maintient au-dessus de son niveau en couche d’une dizaine de centimètres. Avec une persévérance admirable, avec une foi raisonnée qui ne recule ni devant les dépenses d’une installation coûteuse d’endiguemens et de nivellemens difficiles, prouvant ses dires par des faits, défendant ses procédés par la plume, ajoutant à l’histoire des mœurs de l’insecte une découverte des plus importantes, celle de sa marche à la surface du sol,