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dés à ne point se compromettre dans des échauffourées inutiles, à éviter les actions prématurées, ils avaient tout au plus quelques forces de peu d’importance pour surveiller nos agitations sur la frontière ; ils avaient eu aussi le soin de mettre leurs places les plus exposées à l’abri d’un coup de main : puis c’est en arrière qu’ils agissaient sérieusement. Pour eux, une mobilisation régulière, complète sur place, était le prélude nécessaire et prévu de tout mouvement de concentration, de toute marche en avant. Si l’état-major français avait son plan, qu’il ne se mettait guère en mesure d’exécuter, l’état-major allemand avait, lui aussi, son plan arrêté dès 1868 par le comte de Moltke. « Notre mobilisation, disait-il, est préparée jusque dans ses derniers détails : nous disposons de six lignes ferrées pour nous transporter dans la région comprise entre Rhin et Moselle. Les tableaux de transports sont prêts et permettent à chaque corps de troupe de connaître le jour et l’heure de son embarquement et de son arrivée. Dès le dixième jour, les premiers détachemens peuvent débarquer non loin de la frontière française ; le treizième jour, l’effectif combattant de deux corps d’armée s’y trouvera réuni. Au dix-huitième jour, le chiffre de nos forces s’élèvera à 300 000 hommes… » Tout se réalisait en effet avec cette redoutable ponctualité, et même les résultats dépassaient peut-être les prévisions, tant cette puissante machine prussienne était supérieurement montée pour tout ce qu’on attendait d’elle. Le 15 juillet au soir, les premiers ordres étaient partis de Berlin, quelques heures après que le roi Guillaume, revenant d’Ems, avait été accueilli par les acclamations ardentes d’une population tout aussi surexcitée que pouvait l’être celle de Paris. Dès le 24, dans certains corps la mobilisation se trouvait accomplie, et la concentration réelle, sérieuse, efficace, pouvait commencer du côté des Allemands.

Quelles étaient les forces que la Prusse se disposait à porter à la rencontre des forces françaises ou sur lesquelles du moins elle pouvait compter ? Le chiffre de 950 000 hommes, dont on avait souvent parlé, que le gouvernement français connaissait, mais où il ne voyait peut-être qu’une fiction, ce chiffre n’était malheureusement pas aussi chimérique qu’on le croyait à Paris. L’Allemagne du nord seule, avec ses douze corps d’armée, plus la garde prussienne, pouvait et devait avoir en quelques jours sur pied, entièrement formés, tout prêts à marcher en première ligne, 385 000 fantassins, 48 000 cavaliers et 1 284 canons. À ce premier contingent de combat venaient s’ajouter d’abord les troupes dites de garnison ou de remplacement susceptibles d’être appelées au service de guerre, 115 000 fantassins, 7 000 cavaliers, 34 000 canonniers, — puis les troupes de dépôt, 122 000 hommes d’infanterie, 15 000 cavaliers, 246 pièces attelées. En comprenant tout, même les Hessois, qui, bien qu’appartenant