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cens souvenirs, interpréter, mais déjà dans le sens de ses vues ultérieures, les conseils et les règles de conduite qu’il a recueillis de son père respecté. Son père lui a-t-il recommandé de préférer aux apparences de l’honnête la réalité, il en conclut, lui, à l’utilité dont il peut être de se montrer avec ces apparences, sauf à reconnaître ensuite que le plus sûr est encore de se mettre en possession de la réalité. Son père lui a-t-il répété ce proverbe que, par un ordre de la Providence, « les biens mal acquis ne profitent pas au-delà de la troisième génération ; » là-dessus il conteste et commente : en bonne justice, suivant lui, la punition devrait tomber sur le premier acquéreur ; mais, habile à gagner, il se trouve d’ordinaire habile à conserver, et une période de temps prolongée amène des chances de perte. Nous avons déjà cité quelques-uns des ricordi attestant les impressions de son ambassade d’Espagne, et l’on retrouverait également les traces de son énergique période d’administrateur en l’Émilie et en Romagne, avec de vives peintures de l’anarchie qu’il avait eu à combattre : « Je n’accuserai plus, dit-il avec ironie, la justice des Turcs. Ils jugent les yeux fermés et vite ; or il est vraisemblable que, pour la moitié des cas, ils tombent bien, et du même coup ils affranchissent les parties du double fléau des frais et de la perte de temps, tandis qu’on procède chez nous de telle sorte qu’à gagner son procès au prix de tant de retards et de peines, on aimerait mieux l’avoir perdu le premier jour. » La partie politique du rôle de Guichardin aurait ensuite pour échos un bon nombre de ricordi sur les devoirs du négociateur et du général d’armée, et il serait permis enfin d’interpréter quelques-uns de ses souvenirs, même à défaut d’allusions expresses et directes, comme se rapportant à sa dernière et fâcheuse période. Il est possible qu’au moment où il démentait un noble rôle en se donnant à d’indignes princes restaurés par l’étranger, il se soit voulu faire illusion à lui-même, comme tant d’autres ambitieux, par ce raisonnement, plus d’une fois exprimé dans les Ricordi, que, si les honnêtes gens s’éloignent du despote, ils le laissent en proie aux vicieux et négligent un moyen de le contenir. Peut-être aussi renferment-elles une secrète allusion à son rôle et à sa disgrâce, ces paroles qu’il semble avoir, en observateur impartial et jugeant sa propre défaite, placées sur les lèvres du tyran. Pourquoi ce tyran ne serait-il pas, dans sa pensée, ce Côme de Médicis qu’après le meurtre d’Alexandre il a fait élire au pouvoir, duquel il attendait certainement des avantages personnels, qu’il espérait sans doute dominer, mais qui ne lui avait répondu que par l’indifférence et le dédain ? « Tu m’as aidé à obtenir le souverain pouvoir, fait-il dire à son interlocuteur anonyme ; mais tu veux que j’en use à ta guise,