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tion et son séjour miraculeux parmi les hommes. Au second chant de l’épopée, nous assistons à la passion du fils de Dieu, à sa mort. Un court récitatif, puis un arioso sublime nous disent les angoisses de la croix ; la résurrection s’annonce, aussitôt les apôtres se répandent portant le Verbe aux nations ; le paganisme, les princes qui le soutiennent, sont vaincus, et « le royaume du monde est désormais au Seigneur. » Tel est le sens du grand Alleluia. La troisième partie ne comporte qu’un acte de foi pur et simple : « gloire et adoration à celui qui siége sur son trône ; amen ! » Et cet amen, Hændel le fait évoluer à travers les méandres d’un chœur sans fin, insistant, accentuant, paraphrasant : « Oui, qu’il en soit ainsi, amen, et pour jamais, c’est moi, moi Hændel, qui vous le dis, et je vous forcerai bien à m’entendre ! » Pope, qui ne se connaissait guère en musique, demandait au docteur Arbuthnot ce qu’il fallait penser de l’auteur du Messie. « Ce qu’il en faut penser ? répondit le docteur, figurez-vous des prodiges de génie et de talent, et, si loin que votre imagination puisse aller, la réalité vous dépassera toujours ! » Et ces effets prodigieux, avec quels moyens simples ne sont-ils pas obtenus ? « Rien de plus simple que cet art-là, disait Beethoven ; seulement, que voulez-vous ? il a sa manière à lui, sa magie d’être simple ! »

Il avait aussi sa manière de s’emporter, qui donne à cette figure d’olympien je ne sais quel relief de pittoresque et de haut comique. On connaît la façon dont il morigéna la Cuzzoni, que les Anglais appelaient leur ange, sans doute par antiphrase, car c’était d’occasion la plus agaçante et la plus insupportable des pécores. Au premier air à chanter que Hændel lui présente, elle rechigne, fait la maussade, si bien qu’au bout de quelques minutes le maître irrité, n’y tenant plus, bondit sur elle en s’écriant : « C’est possible que tu sois une diablesse, mais moi, je suis Belzébuth, l’archi-diable, et je vais te le prouver ! » À ces mots, il l’empoigne de ses bras puissans et la tient hors de la fenêtre suspendue dans le vide, promettant et jurant de l’y précipiter à moins qu’elle ne consente à chanter son air à l’instant, et comme il est écrit. Même histoire avec un certain docteur Morell, auteur d’une cantate quelconque, qui prenait ses vers trop au sérieux et demandait au compositeur des changemens dans la musique. Hændel saute au clavier et jouant sa mélodie : « Ah ! tu prétends que ma musique est mauvaise, je soutiens qu’elle est excellente et que c’est ta poésie qui ne vaut rien. Va au diable et tâche qu’il t’enseigne ton métier. » Ces colères égayaient la ville. On en causait à la cour et dans les clubs, le prince de Galles aimait à s’en donner le spectacle. Pendant une répétition générale, au moment de l’entr’acte, il envoie un de ses familiers tourner les chevilles des instrumens à cordes et désorganiser l’orchestre. On reprend la séance, Hændel frappe son pupitre, et le plus beau charivari commence. Le prince de Galles dans sa loge riait fort à voir se démener en