une bande dont la largeur varie de 25 à 10 kilomètres pour se figurer la conformation de ce delta quatre siècles avant Jésus-Christ. Telle est d’une manière générale l’idée que nous devons retenir de la progression du delta de la Camargue. Sur plusieurs points de détail, les ingénieurs et les archéologues ne sont pas d’accord entre eux ; mais le fait capital, l’avancement du delta, reste acquis à la science.
Depuis le commencement de notre ère, le grand Rhône se déplaça plusieurs fois. Un bras oriental plus rapproché de la Crau persista depuis le moyen âge jusqu’en 1587. Un nouveau bras s’ouvrit après le débordement du 24 août 1583, et dura jusqu’en 1711. Appelé Bras de Fer ou du Japon, il subsiste encore, et s’ouvre sous forme de canal dans le vieux Rhône, qui débouche dans la mer près du phare de la Camargue ou de Faraman. Ces déplacemens du fleuve étaient l’effet de ses débordemens dans l’antiquité et dans le moyen âge, période plusieurs fois séculaire pendant laquelle ses eaux n’étaient pas contenues par des chaussées. Quand la crue était considérable, le fleuve se jetait du côté où il éprouvait le moins de résistance, et abandonnait son ancien lit pour s’en creuser un nouveau. Encore de nos jours, malgré les digues qui le contiennent, le grand Rhône inonda le 5 novembre 1840 les environs d’Arles et la partie occidentale de la Crau. Le petit Rhône s’étendit jusqu’à Aigues-Mortes, à la distance de 13 kilomètres. Grâce à l’enceinte fortifiée qui l’entoure, les eaux ne pénétrèrent pas dans la ville, mais elles s’élevaient à 2 mètres autour de ses remparts, et les habitans hissaient avec des cordes les vivres que des bateaux leur apportaient des localités préservées. On vit alors clairement comment les eaux déposent le limon dont elles sont chargées et ajoutent une couche nouvelle à celles qui forment le sol de la Camargue. On constata également que pas un caillou n’avait été charrié par elles ; les fines particules tenues en suspension dans la masse liquide avaient seules été entraînées.
À mesure que nous approchons des temps modernes, les accroissemens du delta et les changemens de cours du grand Rhône sont mieux connus. Ainsi on sait que c’est au XVe siècle qu’il abandonna définitivement le bras oriental dans lequel il coulait pendant l’antiquité et le moyen âge, pour occuper son lit actuel jusqu’à 30 kilomètres au-dessous d’Arles ; mais en 1711, au lieu de suivre à partir de ce point le lit sinueux dit Bras de Fer, le fleuve se dirigea au sud-est, directement vers la mer, et ouvrit le Bras des Launes, dans lequel il coule aujourd’hui. La tour de Saint-Louis, encore debout, élevée en 1737 près de l’embouchure ouverte en 1711 et distante de la mer de 6 kilomètres, nous permet de mesurer l’avan-