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en effet, on reconnaît encore les traces du canal que le roi avait fait creuser pour se rendre à la mer sur des navires d’un moindre tonnage que ceux qui composaient la flotte de guerre. À l’est d’Aigues-Mortes est un petit étang mentionné déjà dans des chartes de 1370, c’est celui des Marettes : il communique avec le port actuel. Cet étang aboutissait à un large canal dont les vestiges sont parfaitement visibles et qui porte encore le nom de Canal-Vieil. Dans une enquête ordonnée en 1362 par le roi Jean à propos des réparations à faire au port d’Aigues-Mortes, de vieux habitans de la ville attestèrent sous la foi du serment qu’ils avaient vu ce canal en si hon état que navires et marchandises arrivaient facilement jusqu’au pied des remparts. On peut suivre ce canal jusqu’à un endroit désert appelé les Tombes, dont un grand pin parasol isolé indique au loin la situation. Là on voit des pilotis faits avec le bois des pins qui couvraient jadis la plage. Ces pieux servaient à soutenir les terres meubles dont se composent les levées du canal. On reconnaît près des Tombes des restes de substructions et un véritable cimetière que les alluvions du Vidourle ont peu à peu recouvert de limon. Des fouilles entreprises en 1835 ont mis au jour une pierre tumulaire encore visible sur laquelle sont deux écussons portant chacun une truie en relief ; c’étaient les armes de la famille des Porcelets de Beaucaire, dont un des membres mourut à Aigues-Mortes avant le départ de la flotte. Un hôpital militaire s’élevait probablement dans ce lieu, et il serait à désirer que des fouilles nouvelles fussent entreprises sur ce point avant que les atterrissemens du Vidourle aient fait disparaître les dernières traces de ces antiques sépultures. En effet, cette rivière, canalisée depuis 1833, finira par combler l’étang du Repausset. Suivant les crues de la rivière et le régime pluviométrique de la saison, l’étang est en partie à sec ou rempli d’eau. Des portions du Canal-Vieil, où un témoin nous a dit avoir navigué en bateau dans son enfance, ne forment plus qu’une large dépression qui commence à se garnir d’arbustes et d’arbrisseaux. L’époque où le marais atterri pourra être livré à la culture n’est pas très éloignée ; mais du temps de saint Louis le Vidourle se perdait dans le grand étang de Mauguio, et celui du Repausset était encore assez profond pour être navigable après avoir été creusé partout où cela était nécessaire. L’extrémité du canal près des Tombes aboutit précisément en face du Grau Louis dont nous avons parlé. Des ouvriers, creusant un fossé non loin du Canal-Vieil, mirent à découvert en 1835 une embarcation longue de 24 mètres, ensevelie dans le limon alluvial. On crut avoir sous les yeux une des nefs de saint Louis ; mais M. Jal[1],

  1. Archéologie navale, t. II, mémoire 7.