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de ce pays peuvent nous offrir pour la reconstitution de nos vignobles ; au point de vue de la science, c’est une étude des plus instructives que celle des vignes du Nouveau-Monde, car, tandis que dans notre continent l’origine des principaux raisins se dérobe dans l’obscurité des temps, aux États-Unis, terre vierge fécondée par l’intelligence des colons d’Europe, c’est sous nos yeux que sont sortis des vignes sauvages des forêts les élémens variés d’une culture originale. On verra par quels échecs est passée cette culture avant d’entrer dans la voie où l’attendait le succès, et quel ennemi secret a ruiné, pendant deux siècles et plus, les calculs en apparence les plus légitimes fondés sur notre vigne d’Europe ; enfin on essaiera de pressentir quelle influence peut avoir dans l’avenir, sur le régime d’un peuple voué jusqu’ici à l’eau glacée ou au whisky, l’usage de la liqueur généreuse qui répare les forces du corps et verse la gaîté expansive dans les esprits.


I.

Il est curieux que le nom même de la vigne se rattache à la première découverte probable du continent américain. Vinland est en effet le nom donné aux côtes de la Nouvelle-Angleterre par les Normands Scandinaves qui, partis d’Islande vers l’an 1000 de notre ère, furent jetés par la tempête sur ces parages alors inconnus ; mais ce nom de « pays de la vigne, » où l’enthousiasme patriotique de M. Husmann voit comme un augure de l’avenir de la viticulture en Amérique, est resté longtemps une sorte de dérision dans des contrées où le vin demeure encore un objet de luxe et pour beaucoup un breuvage suspect, coupable aux yeux des sociétés de tempérance des méfaits qu’on peut reprocher aux seules liqueurs alcooliques. Néanmoins les Espagnols et les Français, premiers colons de l’Amérique du Nord, durent chercher dans les raisins sauvages du pays une boisson qui leur rappelât le vin de leur patrie. On cite du vin indigène fait en Floride à la date de 1564. Les Anglais de leur côté, établis dès 1607 en Virginie, essayèrent vers 1620 la plantation d’un vignoble, probablement avec des vignes importées d’Europe, et ce premier essai réussit, dit-on, assez bien pour que la Compagnie de Londres ait eu en 1630 l’idée d’envoyer des vignerons de France dans sa colonie virginienne. Ceux-ci furent bientôt accusés d’avoir laissé périr les vignes faute de soins intelligens, reproche qu’il nous est permis de croire injuste aujourd’hui que plus de deux siècles d’expérience ont démontré l’impossibilité de mener longtemps à bien la vigne d’Europe dans toute la partie de l’Amérique