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comme on disait dans les vieilles préfaces. Les maîtres de la critique moderne nous ont promenés dans les grandes allées du jardin de Versailles, au temps des perruques à marteau, des gardes de la manche, des gentilshommes à bec-de-corbin; nous allons aujourd’hui suivre les petits sentiers, en cherchant dans les grandes herbes quelques-unes de ces fleurs de l’esprit qui ne se fanent jamais, et peut-être constaterons-nous qu’en ce XVIIe siècle, qui nous apparaît si grave et si sérieux dans sa majesté classique, le vieil esprit gaulois ne s’est point réfugié seulement dans Pourceaugnac et les contes de La Fontaine.


I.

Malgré son enthousiasme pour l’antiquité grecque et romaine, malgré ses tendances positives et railleuses, le XVIe siècle à son début se sentait encore attiré vers la littérature féodale et chevaleresque. Les manies guerrières de Charles VIII, qui voulait montrer aux dames de sa cour que, « s’il était petit de taille, il était grand de cœur, » et la gentilhommerie vaniteuse de François Ier avaient remis en honneur le cycle de Charlemagne et les romans d’aventures. Les douze pairs, les neuf preux, les Amadis, retouchés, allongés et défigurés, avaient fait la campagne d’Italie dans les bagages du vainqueur de Marignan; ils étaient les héros du jour, lorsque le grand mouvement de la réforme provoqua contre eux une violente réaction. Les terribles réalités des guerres de religion, où périrent plus de 800,000 personnes par le fer ou la faim, rendirent complètement ridicules aux yeux des contemporains, « tout saignans encore des batailles, » les exploits contre les enchanteurs et les géans, et quand Henri IV eut rétabli la paix dans le royaume, les esprits et la curiosité publique prirent une autre direction.

L’année même où le poignard de Ravaillac enlevait à la France un de ses plus grands rois, Honoré d’Urfé inaugurait par l’Astrée un genre nouveau. Il faisait dans ce livre la peinture des bergers du Lignon, et le public accueillait avec une faveur extrême cette fade idylle, qui le reposait, comme un rêve de l’âge d’or, du souvenir de ses malheurs. Pierre Camus, évêque de Belley, créait en même temps le roman dévot; il dramatisait les coups de la grâce, les épanouissemens de l’amour divin, et lorsqu’à la fin de ses jours il quitta son évêché pour se retirer aux Incurables de Paris et soigner las malades, il n’avait pas écrit moins de cent quatre-vingt-neuf volumes divers, où la bizarrerie des sujets le dispute à la bizarrerie du style et des titres, car le vertueux et prolixe évêque est l’un des premiers écrivains français qui aient cherché à attirer les