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dans l’empire entier. A leurs yeux, il n’y a point là de titre définitif, imprescriptible, autorisant à perpétuité la suzeraineté d’un siège pontifical sur les autres. Ne pouvant asseoir sa suprématie sur l’héritage du chef des apôtres, l’église byzantine doit tôt ou tard, de force ou de bonne grâce, sanctionner l’émancipation de ses filles spirituelles. L’église russe a été la première à établir son indépendance; son exemple a été suivi de tous les états orthodoxes, Grèce, Serbie, Roumanie. Pour ces derniers comme pour l’ancienne Moscovie, la dépendance où la Porte-Ottomane tient le patriarcat n’a été que le prétexte du rejet de la suzeraineté ecclésiastique de Constantinople. En se morcelant avec les divisions politiques, l’église orientale ne fait qu’obéir à son principe, comme Rome obéit au sien en tout centralisant. La juridiction du patriarche de Constantinople est liée à l’autorité des sultans, qui ont pris la place des empereurs grecs; tout démembrement de l’empire turc amène un démembrement de l’église byzantine, et chaque affranchissement d’un peuple chrétien rétrécit le domaine spirituel du premier pontife de l’Orient. Dans l’orthodoxie gréco-russe, le clergé d’un état indépendant ne saurait reconnaître de chef étranger. Avec leur titre fastueux et irrationnel de patriarche œcuménique, les évêques de Constantinople n’auront bientôt plus dans la communion orientale qu’une primauté nominale, une présidence honoraire.

Cette tendance des églises à se délimiter sur les états ou les peuples soulève des questions délicates, souvent mal comprises de l’Occident. L’état donnant ses frontières à l’église, aux scissions nationales correspond une scission ecclésiastique, aux annexions politiques une annexion religieuse. La Russie en offre un double exemple dans la Géorgie et la Bessarabie. En entrant sous la domination russe, ces deux contrées ont passé sous la juridiction de l’église russe. Ge qui donne à cette incorporation ecclésiastique un intérêt spécial, c’est que les Roumains de Bessarabie, comme les Géorgiens du Caucase, étaient en possession sinon d’une liturgie, au moins d’une langue liturgique nationale. En les soumettant au saint-synode qui dirige son propre clergé, la Russie, en dépit de son penchant à l’unification, n’a point imposé à ces peuples d’origine étrangère l’usage de la langue slavonne, la seule employée dans les églises russes. Les Roumains de Bessarabie n’ont point d’évêque particulier; soumis à l’évêque russe de la province, ils ont seulement des paroisses où ils célèbrent l’office en roumain. La petite église géorgienne, de cinq ou six siècles l’aînée de la grande église russe dans la foi chrétienne, en possession de traditions et de saints particuliers, doit au respect des Russes pour son antiquité une position un peu plus favorable. Elle forme dans la hiérarchie de l’em-