moyen âge ont le plus favorisé l’éclosion de la civilisation moderne, c’est la possession d’un idiome clérical et savant d’usage international : l’Orient en manqua. L’église grecque semblait avoir plus de titres qu’aucune autre à imposer à ses colonies spirituelles sa langue, qui était celle du Nouveau-Testament; elle n’en fit rien, elle laissa l’usage de l’idiome de ses aïeux à chaque peuple. L’église russe, depuis saint Vladimir, célèbre l’office divin en slavon. Ce slavon d’église n’est point le père des langues slaves, comme le latin est celui des langues latines. Apparenté surtout au slovène et au bulgare, il n’est qu’une forme vieillie d’un des dialectes parlés dans l’ancienne Slavie avant que l’établissement des Hongrois au cœur de leur pays n’eût coupé les tribus slaves en peuples isolés. Plus ou moins corrompu sous l’influence de l’idiome vulgaire, le slavon ecclésiastique resta jusqu’à Pierre le Grand la langue écrite de la Russie. Pour l’église et la nation, l’emploi de la liturgie slavonne eut avec des avantages durables des inconvéniens qui disparaissent, mais dont les traces sont encore profondes. Il y a bénéfice pour la piété du peuple, qui dans le dialecte sacré trouve une langue assez voisine de la sienne pour lui demeurer transparente, assez différente et assez ancienne pour donner plus de solennité aux hymnes sacrés. Il y a bénéfice pour l’éloquence et la poésie savantes, qui, après s’être débarrassées des formes slavonnes, y peuvent encore puiser des tournures ou des expressions auxquelles l’âge et la religion prêtent une majesté particulière. Il y a bénéfice enfin pour le sentiment national, pour l’influence politique, qui dans la langue liturgique trouve un trait d’union entre tous les peuples slaves orthodoxes, tandis que l’extrême diffusion du latin a cessé d’en faire un lien de parenté entre les nations latines. A regarder le développement de la civilisation russe, le profit a dans le passé été égalé par le dommage. C’est toujours le même défaut : la liturgie slave a augmenté le mal historique de la Russie, l’isolement. Ce n’est point seulement dans l’espace, en la séparant à la fois de l’Occident et de l’Orient, c’est dans le temps aussi, en la laissant étrangère aux langues des civilisations classiques, que le slavon ecclésiastique a contribué à l’isolement et à la stagnation de la Russie. Privé de littérature et d’histoire, le slave ne pouvait, comme le grec ou le latin, dont il prenait la place dans la liturgie, ouvrir à la Russie l’accès de l’antiquité, et par là lui offrir, dans la langue même de l’église, un instrument d’émancipation. L’emploi du slavon fut une des causes secondaires de l’infériorité des clergés slaves, ainsi éloignés des sources chrétiennes en même temps que des sources classiques. Cette question de l’idiome liturgique, en apparence indifférente, a eu sur le développement de la Russie une influence peut-être su-
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