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pratique des rites comme dans l’interprétation des dogmes, elle laisse à ses enfans plus de liberté. Elle ne prétend pas pour elle ou ses ministres à une domination aussi entière, aussi constante, aussi minutieuse ; la soumission au prêtre, à l’autorité ecclésiastique, n’y est pas glorifiée au même degré, et l’obéissance érigée en vertu suprême du christianisme. Chez elle, l’exercice du culte ne donne point la même influence au clergé. Cette différence n’est pas la seule : en poussant l’examen plus loin, on voit que par une espèce de réaction le ritualisme mène souvent au symbolisme ; l’abondance même des formes ou des cérémonies peut disposer l’âme à n’y voir que des enveloppes, des vêtemens étrangers, parfois même des emblèmes ou des allégories. Cette sorte de conversion sur soi-même n’est pas rare en Russie ; loin que la lettre y étouffe toujours l’esprit, l’esprit, chez les âmes les plus religieuses, se met parfois singulièrement à l’aise avec la lettre. Il y a sous ce rapport une grande différence entre les classes instruites et les classes ignorantes, à tel point qu’elles semblent souvent ne pas appartenir à la même foi. Si dans la société russe la dévotion est moins fréquente que dans quelques pays catholiques, elle y est souvent plus large et plus spirituelle, même chez le sexe qu’un hymne de l’église appelle le sexe pieux et qui partout est le plus esclave des dehors du culte. On s’y croit moins obligé à réclamer une permission particulière pour chaque légère infraction aux pratiques prescrites ; on y a moins de scrupule à se fier à sa propre conscience. « À quoi bon, nous disait pendant le grand carême une femme d’une sérieuse piété, à quoi bon demander au pope la permission de ne pas observer le jeûne, alors qu’en me donnant une santé délicate Dieu me défend de jeûner ? » Par ce côté, nous retrouvons au milieu même du ritualisme l’église orientale moins opposée à l’esprit de la réforme que ne l’est l’église romaine. Dans cette tendance d’une partie de ses enfans, nous reconnaissons un des deux grands courans que nous signalions dans l’orthodoxie. Il est dans ces pratiques religieuses mêmes un autre aspect, non moins important, qui nous montre l’église russe peut-être plus éloignée des catholiques que des protestans : c’est le peu de goût pour les nouvelles dévotions, les nouveaux saints, les nouveaux miracles. Elle ne les repousse pas absolument : depuis sa séparation d’avec Rome, elle a comme sa rivale eu ses miracles et ses saints. L’église russe en a dans ce siècle canonisé un ou deux. De pareilles mesures sont chez elles rarement spontanées ; elle s’y laisse pousser par le peuple plutôt qu’elle ne l’y provoque. La tendance à l’immobilité rend l’orthodoxie peu favorable à l’acceptation des visions, des prophéties ou des dévotions modernes ; elle n’éprouve point à cet égard le besoin de rajeunisse-