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remords. A quelques semaines de là, dans une réunion de femmes un jour de fête, elle se trouve par hasard près de l’épouse du prêtre. Au contact de la jeune fille, la popesse laisse échapper un cri d’horreur et manifeste si clairement sa répulsion, que d’explication en explication tout finit par se découvrir. Le pope fut, dit-on, dégradé, et la jeune fille criminelle graciée par l’empereur. De tels faits sont trop exceptionnels pour arrêter souvent l’aveu des péchés sur les lèvres du coupable; ce que le mariage du prêtre peut entraver, c’est moins la confession des crimes et des fautes graves que les confidences et l’effusion de l’âme religieuse. Marié et père de famille comme un simple mortel, le pope n’est point entouré de l’angélique auréole que donne au prêtre catholique le vœu de chasteté, et qui sur les cœurs pieux, sur les femmes surtout, exerce une mystérieuse attraction.

Une autre cause de cette simplicité de la confession et en même temps du formalisme qui a envahi l’église grecque, c’est l’usage de faire payer immédiatement au fidèle chaque fonction que le prêtre remplit pour lui. En Russie comme en Grèce, tous les sacremens se paient, la pénitence et l’eucharistie, aussi bien que le baptême ou le mariage. C’est là une triste nécessité de la pauvreté du clergé, qui en Russie même n’a point encore de budget suffisant pour affranchir le fidèle de ces redevances. Ces offrandes n’ont pas de tarif : pour la confession du mougik, c’est 1 ou 2 kopecks (4 ou 8 centimes), pour celle du riche quelques roubles. Les dons dépendent de la condition ou de la générosité, de la vanité ou du repentir. Cette aumône, remise comme un salaire à la fin de la confession, incline à l’indulgence et à la réserve le prêtre ainsi intéressé à la libéralité et à la pratique du pénitent, qui pour l’église et son ministre devient une sorte de client.

Un autre inconvénient, plus regrettable et plus particulier à la Russie, contribue à faire souvent de la confession et des autres pratiques de dévotion une chose purement extérieure et cérémonielle : c’est l’intimité des deux pouvoirs, la force légale que l’état prête aux commandemens de l’église et qui parfois transforme les devoirs religieux en obligations civiles. La législation russe ordonne à tout orthodoxe de recevoir les sacremens au moins une fois par an; d’après un article du code, le soin de veiller à l’exécution de cette loi est confié aux autorités civiles et militaires en même temps qu’au clergé. Ce sont là, dit-on, des règlemens tombés en désuétude, dont on n’exige plus l’application. Le plus souvent en effet ils ne sont point appliqués; la civilisation et la liberté ont déjà fait trop de progrès en Russie pour que l’exécution en puisse être stricte. Des milliers de personnes violent impunément la loi; elle n’en subsiste pas moins pour intimider les uns et servir de prétexte au zèle indiscret