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des bassins limitrophes du Gange et du Yang-Tsé, où l’espèce humaine pullule? Ces populations clair-semées ne sont pas d’ailleurs homogènes. Quoique les passes du Boulor-Tagh, du Karakorum et de l’Himalaya ne soient accessibles qu’à de petites caravanes, et que les grandes migrations des peuples ne se soient jamais aventurées en de tels sentiers, les invasions et les conquêtes en ont fait le tour par le nord ou par le midi. Ce n’est tout au plus que dans les vallées étroites et d’un accès difficile que l’on retrouve des habitans primitifs ayant conservé le type de leurs ancêtres. A part quelques tribus d’hommes noirs au front déprimé, qui végètent à l’écart, et quelques milliers d’Arabes qui se sont infiltrés au milieu des peuplades autochthones lors des invasions musulmanes, la population de l’Asie centrale provient de deux races bien distinctes, la race aryenne et la race tatare. La première, partie des hauts plateaux où l’Oxus et le Yaxartes prennent naissance, a semé des essaims dans l’Inde, en Afghanistan, en Perse; en passant par l’Oural, elle est venue coloniser l’Europe. L’autre s’est répandue dans la partie orientale du continent, ses enfans débordent de temps immémorial sur le Turkestan et la Boukharie, où on les appelle Mongols, Turcomans, Mandchous. L’histoire de la Boukharie depuis vingt siècles n’est qu’un récit continuel des invasions tatares.

On se ferait une idée imparfaite de l’état social de ces nations diverses, si l’on négligeait d’en étudier les croyances religieuses, car aucun élément n’influe davantage sur la civilisation et n’en donne une mesure plus exacte. Les chrétiens, qui sont presque tous des émigrans européens, les parsis, adorateurs du feu, les juifs, venus là comme ils vont partout, méritant à peine d’être indiqués pour mémoire; les idolâtres, adonnés aux superstitions les plus grossières, sont beaucoup plus nombreux. Les recensemens récens ont fait connaître que l’Inde anglaise, pays d’une culture intellectuelle assez développée, en contient des millions. En réalité, la grande masse de la population se partage entre le bouddhisme et le mahométisme. Cette dernière religion, doctrine de guerre et de conquête, s’est imposée partout. Bokhara est devenue une ville sainte, le sanctuaire des vrais croyans de l’extrême Orient; il y a même en certaines provinces occidentales de la Chine beaucoup de musulmans qui y ont suscité de formidables insurrections. Cependant le bouddhisme est encore plus répandu, peut-être parce que c’est une religion commode, tolérante, qui n’a d’exigences que pour la forme et qui se prête à tous les accommodemens. Quant au brahmanisme, confiné dans l’Hindoustan, il semble y être en décroissance par la faute de l’esprit de caste impitoyable qui le rendit puissant jadis, mais qui se manifeste de nos jours comme une entrave à tout progrès social.

Malgré les barrières naturelles qui les séparent, en dépit des dif-