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pensée, résumant le sens politique de ces incidens de cour, a dit en portant un toast à son hôte, à son « ami » le souverain autrichien : « Dans l’amitié qui nous lie tous les deux avec l’empereur Guillaume et la reine Victoria, je reconnais la plus sûre garantie de la paix en Europe, si désirée par tous et si indispensable à tout le monde. » Qu’en faut-il conclure ? Est-ce que dans ces paroles et dans ces visites qui se succèdent il y a le signe de quelque combinaison positive et menaçante dont la France ait à s’émouvoir ?

C’est probablement beaucoup plus simple. La vérité est que les événemens qui nous ont coûté si cher laissaient tout d’abord l’Europe dans une situation qui n’était pas des plus faciles. La France ne pouvait plus rien, L’Angleterre semblait décidée à se tenir en dehors des affaires européennes. Entre l’Autriche et la Prusse, les souvenirs de Sadowa étaient mal effacés. Entre Russes et Autrichiens, il y avait de vieux ombrages, de vieux ressentimens. L’incohérence, au lendemain de la guerre, était complète et certainement dangereuse. Que pouvait-on faire dans ces conditions ? La Prusse, malgré l’orgueil de sa force, ne se souciait nullement d’engager de nouveaux conflits et préférait la paix pour consolider ses conquêtes. La Russie n’avait point à désirer des complications auxquelles elle était peu préparée, et elle se tenait d’ailleurs pour satisfaite après avoir reçu, par l’abolition du traité sur la Mer-Noire, le prix de sa neutralité pendant la guerre. L’Autriche n’avait à demander rien de mieux que de la sécurité. De là ces réconciliations impériales, ces rencontres à Berlin, à Vienne ou à Saint-Pétersbourg, ces toasts, ces déclarations d’amitié, qui n’ont en réalité qu’une signification : tout cela veut dire qu’on s’est rapproché prudemment dans l’intérêt même de la paix, pour se garantir des périls d’un trop prochain imprévu, des perturbations qui auraient pu naître de rapports mal définis ou restés mauvais. Le rapprochement a commencé par les trois empereurs ; aujourd’hui on semble adresser une invitation plus directe à l’Angleterre. C’est une déclaration générale de bonne volonté pour la paix « désirée par tous et indispensable à tout le monde, » selon le mot de l’empereur Alexandre. Quant à ces coalitions dont on parle encore quelquefois par une vieille habitude, dont on se plaît à évoquer le fantôme, comment seraient-elles possibles ? A propos de quoi et contre quel ennemi se coaliserait-on ? Que les journaux allemands, dans leurs savantes élucubrations, représentent le voyage de l’empereur François-Joseph à Saint-Pétersbourg comme une attestation nouvelle de la triple alliance nouée sous les auspices de la Prusse et préparant la solution de la question d’Orient, qu’ils fassent voyager l’ambassadeur de Russie à Constantinople, le général Ignatief, avec des mémorandums disposant des destinées de la Turquie, que les journaux allemands parlent ainsi, ils sont libres ; le succès leur donne de l’imagination. Ils voient déjà le triomphe du pan-