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ficulté se présentait : les registres, quoique ayant conservé la forme primitive, avaient si longtemps séjourné au milieu du brasier que chacun d’eux faisait un tout homogène et que, dès que l’on essayait de détacher une feuille, celle-ci tombait en poussière. Des savans vinrent voir ces débris noircis qui contenaient tant de secrets; ils les regardèrent longtemps et promirent de chercher un moyen de les utiliser. Ce moyen, qu’ils cherchent encore, M. Rathelot le trouva par inspiration; il enleva d’un coup de tranchet le dos du registre de façon à n’avoir plus qu’un amas de feuilles isolées que l’incendie avait rendues adhérentes l’une à l’autre; il fit tremper dans l’eau ce paquet, qu’on eût volontiers pris pour une planche en charbon, puis il l’exposa tout humide à la bouche d’un calorifère; l’eau, en s’évaporant à la chaleur, souleva une à une toutes les feuilles, qu’on put alors séparer, à la condition de les manier avec des précautions extraordinaires. On déchiffra les actes qu’elles contenaient, on les transcrivit, et le greffier en certifie l’expédition conforme en y ajoutant la mention : «copie faite et collationnée sur une minute carbonisée. » Quoi ! lire sur une feuille de papier brûlé une écriture que le feu a dû effacer à jamais ! Certes, et chacun peut en faire l’expérience. Le feuillet si habilement sauvé ressemble à un lambeau d’une étoffe que les femmes connaissent bien et qui fut fort à la mode au temps de nos grand’ mères ; je parle du droguet, qui a une trame en soie brillante et des dessins en velours mat, couleur sur couleur. La feuille de papier, c’est la trame, — l’écriture, c’est le dessin; l’une est luisante, l’autre est veloutée, noir sur noir, cela se lit très bien. L’ingénieux chef de bureau sauvera-t-il beaucoup d’actes? Environ 70,000. C’est là, on le pense bien, une partie infime des actes qui doivent légalement être déposés au greffe; au 1er janvier 1874, le service central de la Bourse avait envoyé au Palais de Justice 62,400 copies et 2,100 extraits authentiques qu’il avait en double. Festina lente, ont dit les sages.

L’expérience faite au mois de mai 1871 nous éclairera-t-elle? Je l’espère, mais j’en doute; nous excellons à ne pas nous souvenir, et nous aimons paresseusement à nous persuader que les faits accomplis sont un accident qui ne se renouvellera pas. Après l’insurrection de juin 1848, tous les hommes de mon âge ont dit cette niaiserie : jamais on ne reverra une pareille catastrophe ! Nous avons revu la commune et ce qui s’en est suivi. C’est le contraire qui est vrai; par cela même qu’un fait s’est produit, il y a toutes chances pour qu’il se reproduise, car la médiocrité humaine, douce ou féroce, tourne invariablement dans le même cercle. Puisque les documens de l’état civil ont été brûlés, ils peuvent l’être encore ; la précaution de séparer les originaux et les copies, de garder les uns. à l’Hôtel de Ville et les autres au Palais de Justice, a été superflue.