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toutes les misères, on arrivait à Saverne, où l’on pouvait prendre un peu de repos et chercher à se rallier. A peine est-on campé cependant que sur une fausse alerte on reprend sa course. On se dirige en toute hâte par Phalsbourg sur Sarrebourg, qu’on atteint dans la nuit du 7 au 8. Le 10, on est à Lunéville. Le 1er corps avait entraîné du même coup dans sa retraite précipitée le 5e corps. Le général de Failly, qui avait passé la journée du 6 août à Bitche dans la situation la plus singulière, entre le canon de Frœschviller et le canon plus lointain de Spicheren, le général de Failly s’était trouvé le soir dans un embarras extrême, ne sachant plus que faire et en définitive n’ayant servi à rien. Averti de tout ce qui se passait et se croyant lui-même menacé en avant de Bitche, où il y avait en effet quelques démonstrations de l’ennemi, il avait pris le parti de décamper à son tour dès la nuit venue. Il n’avait plus en ce moment la division Guyot de Lespart, qui suivait le 1er corps ; il avait laissé en même temps à Sarreguemines une partie d’une autre de ses divisions, la brigade Lapasset, qu’il ne pouvait plus rappeler. Avec ce qui lui restait, avec la division Goze et la division de Labadie diminuée de la brigade Lapasset, il s’était jeté à neuf heures du soir dans les Vosges, laissant à Bitche ses bagages, du matériel d’artillerie. Il avait gagné la Petite-Pierre, puis Sarrebourg, et après trois pénibles journées il était, lui aussi, le 10 à Lunéville, où il rejoignait le 1er corps.

On était arrivé à Lunéville comme on avait pu. Ici la question devenait grave et peut-être décisive. La direction naturelle de la retraite qu’on était obligé de poursuivre semblait être évidemment sur Nancy. De là on devait être en mesure, selon les circonstances, de se replier jusqu’à Châlons, s’il le fallait, ou de se remettre en communication avec Metz par la rive gauche de la Moselle, par Frouard et Pont-à-Mousson. On pouvait suivre cette ligne sans un danger trop pressant, puisqu’on était le 10 à Lunéville, et que l’ennemi n’arrivait en force à Sarrebourg que le 12 ; les premiers cavaliers de la division du prince Albert de Prusse ne devaient atteindre Nancy que le 14. Les corps français avaient une avance de plusieurs marches ; tout ce qu’ils avaient à craindre pour le moment se bornait à quelques entreprises de hardis éclaireurs. Se croyait-on plus menacé qu’on ne l’était réellement ? Se laissait-on aller au trouble de la défaite ? Obéissait-on à des ordres venus de Metz ? Toujours est-il qu’au lieu de se diriger sur Nancy on se rejetait de côté[1]. Le 1er corps prenait par Neufchâteau, le 5e corps allait

  1. On avait dû d’abord marcher de Lunéville sur Nancy le 11 au matin ; dans la nuit, ce départ fut contremandé. Une brigade du 5e corps, qui n’avait pas reçu le contre-ordre, était sous les armes à trois heures du matin ; elle attendit quatre heures sous une pluie diluvienne. Les hommes, excédés de fatigue, trempés jusqu’aux os, cherchaient un abri partout où ils pouvaient. Un certain nombre, plus de 200, traversèrent la ville et s’engagèrent sur la route de Nancy, pensant être rejoints par la colonne ; mais la colonne ne vint pas. Après quatre heures d’attente et de misère, elle avait fini par recevoir l’ordre de prendre une autre direction. Les soldats débandés arrivèrent à Nancy sous la conduite de quelques sous-officiers, qui les rallièrent et les ramenèrent à Châlons par Toul et Bar-le-Duc. — Voyez un rapport du commandant de la brigade, le général baron Nicolas-Nicolas.