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volontaires ? C’est eux au contraire qui font la loi, lancent des accusations, dénoncent les traîtres ou les lâches. Ils veulent contre les créoles la guerre d’extermination, la guerre sans pitié ni merci ; pour peu que le gouvernement semble faiblir, ils se mutinent. Le général Dulce avait remplacé Lersundi ; homme d’un caractère honorable, autrefois gouverneur de l’île, et marié à une créole, il avait laissé à Cuba les meilleurs souvenirs, il apportait les concessions tardives de la métropole et promettait de gouverner « le pays pour le pays : » c’était là peut-être la dernière chance de conciliation. À peine débarqué, Dulce porta un décret d’amnistie pour tous les insurgés qui déposeraient les armes dans les quarante jours. La lutte commençait à peine, beaucoup de créoles n’étaient pas éloignés de se prêter à quelque arrangement ; mais les volontaires ne voulurent rien entendre, et Augusto Arango, un des chefs cubains, qui, muni d’un sauf-conduit, venait à Puerto-Principe chercher les bases d’une convention, fut par eux odieusement massacré. Quelque temps après, pour arracher au même sort 250 des notables de La Havane qui comme suspects remplissaient les prisons, Dulce se décide à les embarquer sur un navire de guerre et à les faire déporter dans l’île insalubre de Fernando-Po, où bon nombre de ces malheureux devaient trouver la mort. Lui-même d’ailleurs était entouré de défiances et de haine ; un jour, les miliciens en armes envahissent son palais, et lui, le représentant de l’Espagne, le chef suprême du gouvernement colonial, sous les menaces et la pression des factieux, il est forcé de donner sa démission. Un moment, le général Gaballero de Rodas, successeur de Dulce, parut par sa brillante réputation militaire en imposer aux volontaires ; mais soit découragement, soit faiblesse, il dut se résigner bientôt aux concessions les plus fâcheuses, jusqu’à flatter et ménager les mutins. Aujourd’hui ils forment véritablement un état dans l’état : comme les prétoriens de l’ancienne Rome, auxquels les comparait dans les cortès un député espagnol, ils osent entrer en révolte ouverte contre les ordres de la métropole, et l’on a pu dire que l’Espagne avait à Cuba deux insurrections à combattre.

Les excès des volontaires sont favorisés du reste par l’absence à l’intérieur des villes de toutes troupes régulières ; celles-ci tiennent la campagne. Si quelques milliers de volontaires ont été mobilisés et prennent part aux opérations de l’armée active, ce sont surtout les bataillons récemment formés. Quant aux autres, ils préfèrent de beaucoup passer leur temps dans les villes, dépensant leur ardeur guerrière en parades, en revues, en manifestations de tout genre. Les créoles par dérision ont baptisé les péninsulaires du sobriquet de moineaux, gorriones, la raillerie est aussi une arme dans la main des partis. Certain jour, un des volontaires ayant trouvé par