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ment fédéral ? La cause des Cubains y a trouvé son avantage ; mais, de bonne foi, cette politique des États-Unis est-elle désintéressée ? Agissent-ils seulement par humanité, par sympathie pour les créoles, par amour de la justice et de la liberté ? On les voit fortifier Key-West, à la pointe extrême de la Floride, d’où, avec La Havane, ils tiendraient la route de l’isthme ; ils viennent de donner l’autorisation à une compagnie américaine d’acheter à Saint-Domingue tout un des côtés de la baie de Samana. D’après cela, il ne paraît point qu’ils aient renoncé sur les Antilles à leurs projets d’annexion ; l’indépendance de Cuba, telle que l’entendent aujourd’hui les Cubains, doit rencontrer chez les hommes d’état américains peu de partisans, peut-être même croient-ils avoir assez attendu et ne cherchent-ils qu’un prétexte plus ou moins spécieux pour trancher à leur profit le débat entre l’Espagne et sa colonie. L’affaire du Virginius tendrait du moins à le prouver.

L’escadre espagnole des Antilles, de tout temps fort considérable, compte aujourd’hui, outre les canonnières, plus de vingt vaisseaux de guerre qui croisent continuellement dans les eaux de Cuba et s’opposent au débarquement des expéditions cubaines. Ces expéditions, frétées par la junte de New-York, partent toutes d’un des ports voisins : les passagers qui vont renforcer l’armée insurgée sont d’origine créole pour la plupart ; quant à l’équipage, il est composé de matelots étrangers, allant au plus offrant et habitués à courir ces sortes d’aventures : ce sont les flibustiers. Le plus souvent, soit que les autorités du pays officiellement instruites retiennent le navire au départ, soit qu’il ne puisse forcer le blocus et qu’il se fasse arrêter en mer par les croiseurs ennemis, l’entreprise échoue misérablement ; souvent encore, à peine débarqués, sans avoir eu le temps de gagner l’intérieur, les arrivans sont cernés sur la côte et paient de la vie leur audacieuse tentative. Cependant, malgré les déceptions, les périls, personne à New-York ne se décourage, et la junte trouve toujours des hommes et de l’argent. À l’heure qu’il est, elle possède plusieurs navires, employés uniquement à tromper la surveillance des Espagnols : c’est ce que les insurgés nomment pompeusement « leur marine. » L’un d’eux était le Virginius, vapeur à roues de 400 tonneaux, entièrement en fer ; il avait été construit en Angleterre pour le compte des confédérés pendant la guerre de la sécession. Capturé par les fédéraux avec un chargement de coton lors de la prise de Mobile, il fut vendu aux enchères après la guerre et acheté sous main par les agens de l’insurrection cubaine, qui venait alors d’éclater. Il reprit aussitôt son aventureuse carrière, et ses voyages furent plusieurs fois heureux. Un Louisianais le commandait, Joseph Fry, qui s’était acquis dans ces parages par son audace et sa présence d’esprit une