Aller au contenu

Page:Revue des Deux Mondes - 1874 - tome 2.djvu/466

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
460
REVUE DES DEUX MONDES.

semble, n’y croyaient guère : une fois résolus à la paix, avec une franchise un peu tardive ils n’ont fait aucune difficulté d’avouer que le Virginius avait indûment arboré le pavillon américain, l’attorney-général rendit même une déclaration conforme, et déjà les Espagnols s’apprêtaient à revendiquer leur prise ; mais le trop fameux steamer venait précisément de sombrer par suite du mauvais état de sa coque, durant la traversée qu’il faisait de Cuba à New-York, sous la conduite d’un navire de guerre américain. Quelques-uns prétendent que des ordres partis de Washington auraient aidé à l’accident et coupé court ainsi à toute nouvelle complication. Pendant ce temps, à Madrid, M. Castelar, en qui l’orgueil national blessé cherchait un coupable et une victime, succombait sous le poids de l’impopularité que lui avaient value ses concessions nécessaires.

L’incident est vidé maintenant, mais il peut se représenter encore, et il se représentera sûrement, car tel est l’intérêt des États-Unis. Tant que la république fédérale a eu quelque chance de s’établir en Espagne, le gouvernement américain a pu croire aussi que la perle des Antilles se détacherait naturellement de la métropole et entrerait sans coup férir dans son système d’états ; aujourd’hui cet espoir ne paraît plus permis. Qui sait si quelque jour, à bout de ménagemens et de patience, l’Américain n’ira pas brutalement rétablir à son profit l’ordre dans Cuba et y implanter le pavillon étoilé ? De toute façon, rien ne saurait être plus funeste aux véritables intérêts des créoles qu’une intervention directe des États-Unis. Mieux leur vaudrait lutter dix ans encore, souffrir même un écrasement complet, tôt ou tard suivi de revanche, que d’être absorbés ainsi par la trop puissante confédération, et de payer de leur nationalité une liberté fictive. Comme on l’a dit plus d’une fois, « si la race espagnole opprime les races étrangères qu’elle rencontre sur son chemin, la race américaine les supprime. » Le créole n’a rien de commun avec le Yankee, ni le sang, ni la langue, ni les idées, ni les intérêts, ni les mœurs : grâce à l’énergie supérieure de l’Anglo-Saxon, à ses instincs plus pratiques, à l’entente plus grande qu’il a des affaires, les fils du pays seraient bientôt dans leur patrie même annihilés, supplantés, dépouillés. D’ailleurs il n’est idée si belle en principe qui ne souffre dans la pratique quelques imperfections. Ce grand corps de l’Union, si fort, si puissant, si solide, n’existe pas sans secousses et sans tiraillemens ; trop souvent les légitimes intérêts du sud sont sacrifiés à la jalousie ou à la cupidité du nord, et les Cubains, leurs proches voisins, pourraient nous dire, pour le bien savoir, que tout n’est pas parfait encore dans la meilleure des républiques. Ayant avec les anciens états révoltés une grande communauté d’idées et de besoins, les Cubains auraient