Page:Revue des Deux Mondes - 1874 - tome 2.djvu/573

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

pendant les guerres de l’indépendance; mais son éloquence, son vaste savoir, le poussaient au gouvernement ; nommé à vingt-neuf ans grand-pensionnaire de Rotterdam, il devint un des conseillers de Guillaume le Taciturne. Quand celui-ci périt, ce fut Barneveld qui fit nommer Maurice stathouder de Hollande, bien que le fils de Guillaume n’eût encore que dix-huit ans. Lui-même en 1586 fut nommé avocat de Hollande : sous ce titre, il devint le premier ministre des Pays-Bas; il regardait Maurice comme son pupille, le fit nommer stathouder dans les provinces de Gueldre, d’Utrecht, d’Overyssel; à vingt-quatre ans, le prince était stathouder dans cinq des sept Provinces-Unies.

Barneveld avait, sauf en ce qui regarde l’armée, des pouvoirs presque indéfinis. Il était ministre des affaires étrangères, et la collection de ses dépêches, consultées avec tant de fruit par M. Motley, est l’histoire de l’Europe pendant une longue période, écrite pour ainsi dire jour par jour. Vers la fin du règne d’Elisabeth, il alla à Londres pour négocier le départ des garnisons anglaises. Il eut avec la reine des entrevues orageuses. Elisabeth exigeait que les états payassent d’abord leur dette à l’Angleterre; elle menaçait sans cesse, si elle n’était payée, de faire sa paix avec l’Espagne. Barneveld réussit peu à peu à la ramener à d’autres sentimens. Il obtint une convention avantageuse, et quand il alla prendre congé, la reine lui dit : « Je vous aiderai, quand vous seriez dans l’eau jusque-là, » en montrant son menton. Barneveld retourna en Angleterre pour complimenter Jacques au nom des états, quand celui-ci monta sur le trône; enfin il prit la part la plus active aux négociations qui amenèrent la trêve de douze ans. C’est à ce moment que s’ouvre le grand drame que raconte éloquemment M. Motley dans son livre : le duel entre Maurice et Barneveld. Au lendemain pour ainsi dire de la paix, l’antagonisme commence. Louise de Colligny, la quatrième femme et la veuve de Guillaume le Taciturne, alla, à l’instigation de Maurice, demander secrètement à Barneveld si, dans l’intérêt des Provinces-Unies, il n’y aurait pas lieu de mettre la couronne sur la tête de son fils. Elle aimait Barneveld ; celui-ci la vénérait profondément. Il lui déclara que son dévoûment à la maison d’Orange ne pouvait lui faire accepter cette pensée. Maurice avait des pouvoirs royaux, il était capitaine-général et amiral-général de cinq provinces. Il avait hérité de toutes les prérogatives des anciens ducs de Bourgogne, de Charles V lui-même, on augmenterait tant qu’il voudrait ses pensions, on ajouterait à ses dignités; mais la Hollande sortait meurtrie des mains d’un roi, elle avait presque toujours été en rébellion contre ses anciens maîtres; il ne fallait point lui parler d’une nouvelle royauté. Louise