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d’Angleterre avaient droit de le faire, et en présente du prince Maurice il parla en faveur des prisonniers, demanda qu’ils fussent élargis, s’ils n’étaient coupables de haute trahison; il fit un éloquent appel aux sentimens de Maurice, et le conjura d’ajouter à sa gloire le lustre de la générosité. La princesse douairière Louise de Colligny, le comte Guillaume, cousin de Maurice, auraient voulu sauver Barneveld. La vieille princesse vit en secret une fille du prisonnier, Mme de Grœneveld, elle insista pour que la famille de l’accusé adressât une supplique aux états; Mme de Grœneveld consulta ses frères et refusa : Barneveld eût approuvé le stoïcisme de ses enfans.

Le 12 mai, on lut à Barneveld sa sentence dans la chambre qui lui servait de prison. Il apprit avec plus d’étonnement que d’émotion qu’il était condamné à mort. Il demanda simplement à écrire une lettre. La voici :


« Ma bien-aimée femme, mes enfans, mes gendres et mes petits-enfans, je vous salue tous avec grande affection. Je reçois en ce moment la douloureuse nouvelle que moi, un vieillard, pour tous les services rendus fidèlement à ma patrie pendant tant d’années (après avoir rempli tous les devoirs du respect et de l’amitié envers son excellence le prince autant que le permettaient mes devoirs officiels, après avoir témoigné de l’affection à des gens de toute sorte et n’avoir volontairement nui à personne), je dois me préparer à mourir demain.

« Je me console dans la pensée de Dieu notre seigneur, qui connaît tous les cœurs et qui jugera tous les hommes. Je vous prie de faire comme moi. J’ai constamment et fidèlement servi messeigneurs les états de Hollande, les nobles et les cités de Hollande. Pour les états d’Utrecht, souverains de mon propre pays, je leur ai, à leur requête, donné des conseils loyaux et fidèles pour les préserver des mouvemens de la populace et du carnage qui les a longtemps menacés. J’avais les mêmes vues pour les villes de Hollande, voulant que chacun pût être protégé et que personne ne fût molesté.

« Vivez dans l’affection et la paix. Priez le Dieu tout-puissant pour moi, ce Dieu qui nous tiendra tous dans sa sainte garde.

« De ma chambre de douleur, 12 mai 1619. »


Les états envoyèrent à Barneveld un ministre, Antoine Walœus. L’avocat, ne le connaissant pas, lui demanda quel était l’objet de sa mission. « Je viens ici, dit le prêtre, pour consoler votre seigneurie dans ses tribulations. — Je suis un homme, dit Barneveld, et je sais me consoler moi-même. « Il regretta ensuite ce mouvement de fierté, rappela Walœus, lui confia même un message pour Maurice;