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de la modération dans les plaisirs, de la vie bornée, Horace perd de sa faveur, c’est Ovide qui tient le haut pavé : l’Art d’aimer est dans toutes les mains, et l’empereur Auguste, « restaurateur des bonnes mœurs, » n’y voit point de mal. C’est qu’au fond la morale proprement dite l’occupe assez peu, il ne demande que des ménagemens extérieurs : soyez au dedans ce que vous êtes, — des libertins et des courtisanes, — mais au dehors, en public, point de scandale ! Pour le peuple, du pain et des spectacles; pour la noblesse, toutes les jouissances d’une vie de loisirs.

Il y eut cependant des natures absolument réfractaires à cet esprit de dissimulation ; on en vit qui par opposition affichèrent leurs débauches. Julie était de ces natures, toujours vraie et portant haut même ses vices, — du reste le parfait produit de son temps et de la société qui l’avait élevée. Jugée à ce point de vue, l’effroyable pécheresse ne vaut pas moins que tout ce qui l’entoure, elle vaut peut-être mieux. Outre cette droiture dont je parle, elle avait l’humanité, la bonté d’âme; prœterea mitis humanitas minimeque severus animus, dit Macrobe. Livie était assurément une plus honnête femme; elle, Julie, était un plus honnête homme. Ses crimes n’ont fait d’autres victimes qu’elle-même, jamais vous ne lui surprenez la main dans un meurtre, ce qui ne se peut dire de l’épouse d’Auguste, chaste et pudique, mais cruelle, — sang de vipère, tranquille, froid et venimeux. D’ailleurs à ces désordres que d’excuses! Son père en la mariant avait-il une seule fois considéré autre chose que la raison d’état? Des premiers battemens de son cœur, de ses vœux de jeune fille, qui s’était occupé? Julie sentait les implacables droits qu’elle avait à l’indulgence de son père ; son tempérament de feu et la dépravation de la jeune noblesse firent le reste. Ingénieuse et brillante, elle apportait à la conversation toutes les ressources de l’intelligence la plus diverse et la mieux informée. Parler de sa beauté serait facile ; nous n’avons point ici, comme pour Cléopâtre, à conjecturer sur la foi de quelques documens que l’imagination interprète. Les médailles, les pierres gravées, nous renseignent; à qui ce genre d’iconographie ne suffit point, le Louvre offre son répertoire. La statue que nous avons d’elle au musée la représente en Cérés, la couronne au front. Vous êtes vis-à-vis d’une femme abordant la trentaine, belle et d’une superbe distinction. Le visage, où se montre la fierté des races royales, n’en respire pas moins un grand charme; les traits sont fins, délicats, la vie et l’esprit les animent. Involontairement devant ce marbre vous vous dites : « Qui que tu sois, tu seras vaincue, et fille de césar bien plus encore ! » Légèreté, hauteur, coquetterie, tout l’arsenal de la provocation, et rien pour la défense; aucune volonté, point d’énergie, un large et souple pallium enveloppe le corps élancé dont le maintien trahit la