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mérer ses nombreux travaux; je ne veux plus qu’en signaler le grand et original caractère.

Tout esprit de parti ou de coterie, tout système exclusif et préconçu, y furent étrangers. M. Vitet ne fut ni classique, ni romantique, ni grec, ni italien, ni anglomane, ni allemand, ni flamand, ni espagnol. Le beau, le vrai, le naturel, obtenaient seuls son admiration, et l’obtenaient, quels que fussent leur origine, leur date, leur nom propre, leur célébrité publique. J’ai dit quelle vive émotion le saisit lorsqu’on montant sur un échafaudage dans la cathédrale de Reims il découvrit, « dans les enfoncemens des ogives et des ornemens architectoniques, une profusion de statues et de bas-reliefs dont le style, le caractère et l’expression le pénétrèrent d’enthousiasme. » C’était de la sculpture française du XIIIe siècle. Plusieurs années après, en 1859, des fouilles grecques à Eleusis mirent à découvert un bas-relief de trois figures du style le plus pur, Cérès, Proserpine et Triptolème, appartenant au siècle de Périclès et groupées ensemble. A la vue de ce monument, M. Vitet éprouva un sentiment plus vif encore, mais analogue à celui que lui avaient inspiré les bas-reliefs du XIIIe siècle à Reims. « Bientôt, dit-il, l’émotion vous gagne; vous sentez ce frémissement secret qu’inspire la vraie beauté; vous êtes tout entier au bonheur d’admirer; bonheur si rare, même devant des antiques ! » M. Vitet savait goûter ce bonheur, que ce fût devant la Grèce du siècle de Périclès ou devant la cathédrale de Reims du moyen âge. Il savait plus, il était reconnaissant du bonheur d’admirer le beau, et il n’hésitait pas à témoigner sa reconnaissance à ceux quille lui avaient procuré. C’était à M. Charles Lenormant, alors voyageur en Grèce pour la troisième fois, que la reconnaissance était due, et M. Lenormant mourut à Athènes le 22 novembre 1859, après avoir fait mouler et envoyer le bas-relief d’Eleusis à Paris, à l’école des Beaux-Arts, où tous les amateurs du beau vinrent l’admirer. M. Vitet se donna le noble plaisir d’acquitter envers M. Lenormant la dette publique en consacrant par un court essai le souvenir des fouilles d’Eleusis et celui du voyageur qui avait payé de sa vie son voyage dans la patrie du monument qu’elles avaient découvert.

Je veux donner, à propos de l’architecture et de la peinture, deux autres exemples de ce sentiment et de ce jugement à la fois passionnés et impartiaux que portait M. Vitet dans l’étude des arts et dans la contemplation du beau. J’ai déjà parlé de la « charmante église qu’il découvrit à Tracy, près de Noyon, petit monument, dit-il, à peu près inconnu, du travail le plus suave et le plus hardi, et des proportions les plus ravissantes. « Je ne sais si ce fut la découverte de l’église de Tracy qui le détermina à porter sur l’église