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De grandes voies bien éclairées et cependant tristes, bruyamment animées et cependant mornes, des faubourgs spacieux, mais d’où toute joie est exilée, de hautes maisons bien bâties de physionomie grise, des églises sans architecture, des monumens sans goût et sans beauté, voilà Saint-Étienne. Répandez sur le tout un léger badigeon de fumée et semez le sol des grandes voies d’entrée d’un épais tapis de poussière de charbon, et vous aurez le tableau au complet. Si fort est ce caractère de virile vulgarité, qu’il a résisté et qu’il résiste à toutes les tentatives modernes d’embellissement. On a essayé de donner des monumens à Saint-Étienne, on lui a bâti un palais des arts pour loger ses collections; à la cime d’une élévation artificiellement creusée en forme de grotte, on lui a construit une école de dessin qui affecte des airs de palais et à laquelle on monte par deux rampes quasi royales, mais ces édifices, lourds et prétentieux, hors de proportion d’ailleurs avec leur destination, vont à Saint-Étienne comme un habit de fête à un laborieux artisan; la ville en est non embellie, mais endimanchée en quelque sorte. Telle la ville, telle la population. Le peuple de Saint-Étienne a la réputation d’être méchant; ce qui est certain, c’est que c’est un des plus moroses que j’aie vus. Je ne l’ai pas surpris à rire, et rarement je l’ai entendu chanter ou vociférer; cependant j’ai séjourné à Saint-Etienne une semaine entière. Cette disposition semble propre, il est vrai, non à Saint-Étienne particulièrement, mais à toute cette région du Lyonnais qu’il avoisine, car le peuple de Lyon, qui passe à trop bon droit, hélas! pour violent, est un des moins bruyans qui existent, et une des choses qui étonnent le plus le voyageur, c’est de trouver si peu tapageuse une cité si grande et où fermentent les volcans dont nous avons vu les explosions. Ajoutons qu’il n’y a rien dans le type physique du peuple de Saint-Étienne pour rehausser cette physionomie morose. Ce type est ingrat, et lorsque la fatigue ajoute ses stigmates à cette absence de beauté, l’aspect en est douloureux sans être attendrissant, car ce n’est que pour les chrétiens à outrance et pour les âmes forcenées de charité que la souffrance non relevée de grâce peut être intéressante. Certes voilà un tableau dur de formes, sec de coloris, sombre de ton; oui, mais l’âme du travail est ici partout présente et a marqué cette ville d’une empreinte ineffaçable, et ce cachet lui crée une originalité qui ne se laisse pas oublier. Bien des villes autrement coquettes, autrement avenantes, autrement gracieuses, ne mordront jamais sur le souvenir avec autant d’énergie, et lorsque la mémoire cherchera leurs images, elle s’étonnera de les trouver si effacées et de voir celle de Saint-Étienne conserver encore toute sa vigueur.

Parmi toutes les villes de France que je connais, il n’y en a