Page:Revue des Deux Mondes - 1874 - tome 2.djvu/678

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

qui ébauchent la victoire, ce sont les brûlots qui l’achèvent. Une troisième époque enfin semble s’ouvrir avec l’apparition de la marine de Louis XIV. Les lignes deviennent plus serrées et plus régulières, l’action du canon est plus efficace. Les véritables combats d’artillerie commencent, ils vont se prolonger jusqu’à nos jours. La marine à voiles a en quelque sorte trouvé sa position d’équilibre; elle ne subit plus que des transformations de détail presque insignifiantes. C’est au contraire parce qu’elle se transformait dans ses dispositions les plus essentielles que, pendant presque toute la durée du XVIIe siècle, on la voit modifier sans cesse ses procédés de combat.

Qu’étaient les vaisseaux ronds au début? De grandes barques munies d’un seul mât et pour la plupart non pontées. Quand il partait de Saint-Valery pour envahir l’Angleterre, Guillaume le Conquérant n’emmenait pas moins de neuf cents de ces vaisseaux. Trois cents ans plus tard, Edouard III en conduisait près de sept cents à la bataille de l’Écluse. Ces flottes, jusqu’à un certain point pareilles à celle qui aborda aux rives de la Troade, étaient-elles autre chose que des flottes de chaloupes? Mais lorsque vers la fin du XIVe siècle les Vénitiens eurent introduit l’usage de l’artillerie à bord des bâtimens de guerre, toute une révolution dans l’art naval se laissa soudain pressentir. Les canons furent d’abord placés sur le pont, et tirèrent en barbette par-dessus la lisse des navires. Un constructeur breton inventa les sabords, et à dater de ce moment les étages chargés de bouches à feu de tous les calibres commencèrent à se superposer rapidement les uns aux autres. Fernand Cortès entreprenait la conquête du Mexique, Magellan partait de San-Lucar pour se rendre aux Moluques quand on vit pour la première fois apparaître sur les mers ces grands châteaux ailés qui dans leur inexpérience trébuchaient encore à la moindre brise. Henri VII à Erith, la duchesse Anne à Morlaix, font construire presqu’à la même époque l’un le Great-Harry, l’autre la Cordelière. Ces deux vaisseaux jaugeaient de 1,000 à 1,200 tonneaux. Ils portaient sur leurs flancs de trente à quarante pièces de 18 et de 9, une dizaine de pièces destinées à tirer en chasse ou en retraite, et de plus une foule de petits canons offrant une certaine analogie avec nos perriers et nos espingoles. Pour se mouvoir, ils avaient quatre mâts, y compris le beaupré, — pour loger leur nombreuse artillerie, trois étages. La batterie supérieure ne s’étendait cependant pas d’une extrémité à l’autre du navire. Coupée par le milieu, elle offrait à la proue, aussi bien qu’à la poupe, un réduit complètement fermé d’où l’on dominait le pont de la seconde batterie et où l’on se retirait à la dernière heure pour repousser l’abordage.