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étranger. Sur trois cents lieues de côtes, on n’eût pas trouvé en 1626 vingt navires français. La Hollande et l’Angleterre auraient dû nous encourager dans cette apathie ; elles cédèrent maladroitement à la tentation d’en abuser. Des édits empreints de l’esprit étroit et jaloux du temps réservèrent à l’industrie ainsi qu’à la navigation nationale l’exploitation exclusive des comptoirs et des plantations fondés au-delà des mers. Tout débouché extérieur se trouvait ainsi fermé aux produits de nos manufactures; les épices ne nous seraient plus livrées qu’à des prix exorbitans, le sucre à près de 4 francs la livre, et, ce qui était peut-être plus grave encore, tous ces objets devenus de première nécessité, il faudrait les payer aux puissances coloniales argent comptant, puisque la voie des échanges nous était désormais interdite. Une semblable situation n’était point acceptable pour un grand pays où l’ordre commençait à renaître et qui pouvait se rendre aisément compte des admirables ressources que la nature lui avait départies. Nous avions, remarquaient avec raison les notables de 1626, plus de havres que les Anglais, plus de bois de construction et du meilleur. Nos Biscayens, nos Bretons, nos Normands, composaient la majeure partie des équipages qui montaient les navires partant des ports d’outre-Manche; nous fournissions à l’Angleterre les toiles, les cordages dont elle faisait usage, le cidre, les vins, les salaisons, qu’elle embarquait sur ses vaisseaux. Pourquoi donc ne ferions-nous pas pour notre propre compte le trafic qui enrichissait nos voisins, et qui les enrichissait surtout à nos dépens?

La question cependant était complexe. Pour s’affranchir d’un tribut onéreux, il fallait à son tour fonder des colonies; pour avoir des colonies, il fallait se mettre en mesure de les approvisionner et de les défendre. Par l’octroi de privilèges exclusifs accordés aux grandes compagnies commerciales de Saint-Christophe, du Canada et de Madagascar, par le concours des principaux personnages du royaume à ces entreprises, Richelieu parvint à jeter, de 1626 1642, les bases de notre établissement colonial. Dans le même espace de temps, il créa la flotte qui devait protéger ces possessions lointaines et empêcher que les sujets du roi ne fussent « déprédés en haute mer. » Nos flottes avant cette époque ne se composaient que de bâtimens loués ou achetés en Hollande et en Suède; on avait même vu en 1621 un amiral de France obligé de combattre sous le pavillon des Provinces-Unies. Richelieu nous donna une marine nationale. Il voulut s’assurer le moyen de construire dans nos propres ports les navires que nous avions jusqu’alors demandés à l’étranger, car il avait reconnu, notamment dans la guerre dirigée contre les habitans de La Rochelle, les graves inconvéniens qui pouvaient résulter de cette dépendance.