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la connaissance des hautes parties de la guerre ne s’acquiert que par l’étude des campagnes et des batailles des grands capitaines. » Sur mer, ces campagnes et ces batailles sont peu nombreuses. Du règne d’Elisabeth et de Philippe II à celui de Napoléon Ier, on n’en trouverait peut-être pas plus de vingt ou trente dont le souvenir méritât d’être recueilli. L’empereur n’en comptait que quarante sur terre, et il remontait jusqu’à Annibal. Nous avons donc intérêt à ne pas trop limiter notre horizon. L’historien qui ne voudrait étudier que les combats livrés par nos flottes, qui négligerait l’expédition espagnole de 1588, expédition non moins merveilleusement préparée et encore plus malheureusement déçue que ne le fut l’expédition française de 1805, qui omettrait de propos délibéré le récit des grandes luttes auxquelles notre marine ne prit part qu’à dater de l’année 1672, nous priverait des enseignemens les plus applicables à la situation présente. La science navale, il ne faut pas l’oublier, a fait depuis vingt ans un retour bien étrange sur elle-même. Ces deux longues allées de peupliers qui, dans les tableaux contemporains du règne de Louis XVI, ont la prétention de représenter des combats d’escadre, nous disent assez combien à cette époque les procédés de guerre différaient de ceux des flottes actuelles, dont les flottes de l’avenir surtout nous commanderont impérieusement l’emploi. Tout au contraire, ces gros corps de bataille derrière lesquels s’abritent des flottilles de brûlots, ces vaisseaux qui s’avancent de pointe, ces navires enflammés qu’ils escortent, ces lignes qui se traversent, ces combats qui se rétablissent et se renouvellent sans cesse, toutes ces manœuvres brusques, toutes ces confusions sanglantes, que nous a retracées le pinceau des peintres du XVIIe siècle, ne sont-elles pas l’image des mêlées qu’il nous faut de nouveau prévoir aujourd’hui?

Et pourtant ce n’est pas de ce côté technique que doivent nous venir les leçons les plus profitables. Le spectacle des épreuves par lesquelles ont passé les hommes appelés à exercer le commandement des armées ou des flottes est bien autrement instructif. Les plus hautes renommées ont eu de tout temps leurs vicissitudes; les plus éclatans triomphes n’ont pas été exempts d’inquiétantes péripéties. Tout événement militaire est un drame dans lequel la fortune et les hommes jouent leur rôle. Il n’en est pas moins vrai que si l’on veut se défendre soigneusement « de convertir l’accident en principe, » on pourra discerner encore, à travers les surprises incontestables et multipliées du sort, le chemin qui mène à la victoire.


E. JURIEN DE LA GRAVIERE.