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se contentent d’ordinaire de quelques paroles patriotiques empreintes d’un sentiment religieux très général. Il n’en est pas moins vrai que cette coutume, supportable dans les temps de calme, entraîne de graves inconvéniens quand les divisions religieuses ont éclaté, car elle donne au gouvernement la tentation de faire un sermon provoquant; on s’en est bien aperçu dans le canton de Berne pour le jeûne fédéral de 1873. Le conseil d’état a fait un mandement qui n’était qu’une virulente diatribe contre l’église ultramontaine. La curie romaine y est prise violemment à partie, la papauté infaillible est signalée comme un pouvoir malfaisant, blasphématoire, pervertissant la raison, poussant à l’abrutissement systématique des peuples. Ce prône édifiant se terminait par ces mots : « c’est notre devoir à tous, chers citoyens, de démasquer l’hypocrisie, le mensonge, quels que soient ses déguisemens et ses ruses. » Qu’on n’oublie pas que ce mandement devait être lu dans toutes les chaires, même dans les chaires catholiques! Est-il possible aux représentans du pouvoir civil de manquer davantage à toutes les convenances et de blesser plus gravement le droit des consciences?

La destitution en masse des 69 curés et 10 vicaires a promptement suivi l’arrêt de la cour d’appel. Le gouvernement bernois a décidé que les cures seraient réduites au nombre de 28, et que les registres de l’état civil seraient immédiatement remis aux autorités laïques. La fin de 1872 a été consacrée à la nomination et à l’installation des nouveaux curés, qui naturellement appartenaient tous à la fraction du catholicisme qui a rejeté les décrets du concile, car la voie était entièrement fermée aux catholiques orthodoxes.

L’occupation militaire du Jura bernois est la preuve évidente que ces derniers ont pour eux la majorité de la population. D’ailleurs des renseignemens certains établissent que, sauf dans quelques centres de population importans, le culte patronné par le gouvernement ne se célèbre que devant d’infimes minorités. Le gouvernement avait autorisé d’abord la célébration de l’ancien culte dans les églises à des heures différentes; il est bien vite revenu sur cette mesure : les curés destitués n’ont pu célébrer que furtivement des messes basses. Une vive irritation a été la conséquence d’une situation aussi violente. Il est certain que les persécutés ont cherché à rendre la vie dure au clergé qu’ils regardaient comme un intrus, qu’ils ont profité de leur influence sur la population pour l’exciter contre ce qui leur semblait un sacrilège, et que l’opposition ultramontaine ne s’est pas renfermée dans les limites de la modération. Il s’est passé dans le Jura bernois ce que l’on a vu lors de la révolution française : le mépris le plus sanglant a été infligé au clergé assermenté, et les réfractaires ont soulevé